Quand ma mère est morte, ou un peu avant, elle me l’a légué, me disant :

– Garde-le précieusement, on ne sait jamais, bien que sans doute, il se trouve déjà quelque part des gens qui ne seront pas d’accord avec ça et peut-être le pire est un parent à toi.

Et ça restait tellement mystérieux ce qu’elle disait et ce qu’elle me tendait que j’ai dû ouvrir des yeux d’enfant idiot, demeuré, un peu hébété-toc-toc .
Elle l’a vu bien sûr et a eu le temps d’ajouter avant de tomber dans un état cataleptique qui ne l’a plus quittée jusqu’au moment de sa mort :
– C’est un morceau de sa chair maintenant bien séché, c’est l’anneau de Saturne que j’ai eu le temps de mordre avant qu’il s’en aille. Mon fils, c’est la preuve que tu es aussi son fils.

De qui parlait-elle ? Impossible de savoir.

A vrai dire, je n’avais que six ans mais je m’en doutais bien.

Qui avait occupé, malgré un si bref passage dans notre famille, une place si exorbitante et inoubliable parmi nous ?

Un certain type, un gringo, assez brun de peau pour avoir dû aller pas mal au soleil, bien que de surface bien blanche sans doute au sortir de sa mère, sur certains rafiots par où il avait échoué sur nos côtes, un type tranquille qui disait peu de mots et quand il parlait c’était sans trop d’accent, un peu slave on aurait dit, ou alors il imitait bien, je crois qu’il en était bien capable, pas très grand mais pas petit et très habile de son corps, je me souviens de la façon dont il avait escaladé un balcon placé assez haut un jour en bondissant et en saisissant le bas des rambardes de fer puis en se rétablissant je ne sais trop comment et il avait aussi une façon de rattraper les balles en acrobate dans tous les jeux où il jouait car il était assez physique et il est, si mes souvenirs ne me trompent pas, resté quelques temps par ici avant de disparaître comme il était venu, sans crier gare, nous apprenant mes copains et moi à jouer à la pelote basque à main nue. Venait-il des terres d’Euzkadi ou avait-il appris en passant, au cours de ses navigations, par Cuba ou Miami où se trouvent de grands champions ? Mystère et boule de gomme sur tout ça.

Bref, quand elle m’a vu si empoté et les yeux écarquillés, elle m’a mis ce petit paquet dans les mains en me disant de l’ouvrir.

Ce petit paquet, comme elle avait insisté sur son extrême importance, je l’ai toujours gardé comme une relique et quand tout allait bien accroché à mon cou par  une chaîne, ce petit paquet a donc voyagé avec moi et partout, en passant d’île en île et puis au Venezuela, en Colombie et au Surinam et au Brésil, c’est un rescapé de tous les contrôles et de toutes les frontières que j’ai dû parfois, assez souvent pour pouvoir le faire encore en ayant juste l’air de me gratter, mettre entre mes fesses ou même plier en long et mettre dans ma joue. J’aurais été prêt à l’avaler et à le digérer s’il le fallait.

Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour qu’en se moquant ou en croyant que c’était des émeraudes ou des diamants ou de l’or en pépite, ou le Saint Graal, je ne sais pas – évidemment mes copains aigrefins voyous l’avaient une fois ou l’autre repéré – on veuille me l’arracher et pour apprendre à me battre comme un sauvage des forêts ou un pirate naufrageur ou pire, un nègre fugitif du temps où. C’est surtout au Brésil, à Belém que j’ai eu la meilleure technique avec la capoeira, qui permet d’attaquer l’adversaire en faisant la roue au sol et de l’affronter avec la pointe ou le talon du pied redressé en guise de poing quand il s’attend juste avant le demi-tour ultra-rapide, et un peu médusé de cette vire-volte, à une gifle ou au pire, à un coup de coude dans le nez.

Mais, question ouvrant sur plus obscur . . . de quel morceau de chair, séchée comme viande au soleil, il s’agissait ?

Ça c’était autre chose, je n’en savais foutrement rien,  que des conjectures foutues et j’avais pourtant, croyez-le bien foutuement ouvert le paquet plus souvent qu’à mon tour qui dégageait une odeur suave et contenait, qu’il vienne des magies du Bénin ou du Burkina ou même des sorcières de Split , de l’île de Hvar ou des caves de Dubrovnik, d’un type ou d’un animal ou Dieu sait quoi.

Je n’eus de cesse que j’eus trouvé, avant que la chair pourrisse vraiment tout à fait, un bon docteur  bien de confiance capable d’identifier le morceau. Et je l’ai trouvé un jour à Cuba au MINSAP où je travaillais comme nettoyeur de vitres.

Voilà toute la transparence et le scan du truc, plus fort que la résonance magnétique, j’vous dis (et vous allez voir ça radiographie en secret des profondeurs jusqu’aux barreaux de la chaise en question qui trempe encore sous quelques mètres d’eau . . . l’eau iodée salée du Cap des Croix, secret d’héritage et de cimetière, foi de Baron Samedi).

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