[Communication au colloque Dinomaniaques! – Mulhouse, 25 & 26 septembre 2015 – version augmentée et révisée. Ceci est la seconde publication d’un article du blog « Déjà vu ». Source de l’article : http://dejavu.hypotheses.org/2423  ]

Lorsque l’on songe à l’imagerie des dinosaures, ce sont très souvent des exemples provenant de films spectaculaires bien connus qui nous viennent à l’esprit. Plus rarement sans doute on se souvient de sculptures monumentales dans des parcs d’attraction ou des compositions réalisées par les paléo-artistes qui dépeignent la vie préhistorique. Mais les sources d’images sont en réalité bien plus nombreuses, comme le rappelle cette liste non limitative (figure ci-dessous).ImagesDinomaniaques_01

Dans cet exposé, nous examinerons des images provenant principalement de pulp magazines et de comics:

  • Les pulp magazines sont des périodiques bon marché édités à partir de la fin du 19ème siècle. Imprimés sur du papier de mauvaise qualité (pulp), ces magazines ont publié des nouvelles de genres très différents et comportent des couvertures illustrées ainsi que des dessins généralement en noir et blanc en pages intérieures.
  • Les comics quant à eux apparaissent un peu plus tard sous la forme de strips, bandes dessinées de quelques cases publiées dans les journaux. À partir du début des années 1930, les comic books qui regroupent plusieurs histoires sous la forme de fascicules de quelques dizaines de pages font leur apparition.

Les pulps et les comics ont abondamment représenté des dinosaures dans les histoires qu’ils proposaient, et ces illustrations ont largement contribué à construire la fascination qu’ils exercent dans la culture ordinaire ainsi que les thématiques narratives dans lesquelles ils interviennent. Pour repérer et qualifier les principales thématiques qui se dégagent, il est nécessaire d’examiner attentivement de vastes corpus d’images.

L’exposé décrit le résultat d’une enquête visuelle portant sur une collection de plus de 2000 images sourcées1 extraites de pulps et de comics complétée par quelques dizaines d’images provenant d’autres supports. Pulps et comics ne sont en effet pas isolés et l’imagerie considérable qu’ils proposent est constamment en relation avec des représentations diverses apparues dans d’autres médias. Les images collectées ont ensuite été indexées dans une base de données. Enfin, le corpus documenté ainsi rassemblé a été analysé afin d’identifier les figures visuelles récurrentes.
Nous distinguerons dans cette étude trois types de figures visuelles récurrentes.

  • le trope visuel: figure de style graphique générale choisie par un auteur pour illustrer une situation. Le trope visuel doit être expressif et aisément interprétable par l’observateur. Dans un trope visuel, les caractéristiques formelles de la représentation ne sont pas établies précisément.
    Exemples: le combat entre dinosaures / la demoiselle en détresse menacée par un dinosaure
  • le cliché ou stéréotype: trope visuel où l’image répond à certaines caractéristiques formelles précises.
    Exemple: le dinosaure debout à côté d’un building pour juger de sa taille
  • le swipe: terme du monde des comics qui désigne une illustration imitant une autre image publiée antérieurement, souvent en couverture d’un fascicule (mais pas toujours). Un swipe est habituellement un hommage rendu au dessin original mais peut être aussi une parodie ou même un plagiat.

De même que les paléontologues cherchent à classer les dinosaures, l’historien de la culture visuelle cherche à classer les représentations des dinosaures dans la culture ordinaire. Non pas tant à partir de leurs formes qu’à travers les situations où ils sont figurés. Il s’agit en somme, en s’appuyant sur l’identification de figures visuelles récurrentes, de construire une taxinomie de l’imagerie dinosaurienne dans deux médias populaires.

Vous allez voir beaucoup d’images. Il ne s’agit pourtant que d’un échantillon extrait de cette enquête. Il n’est pas question d’examiner en détail toutes les images présentées. Chaque diapositive doit plutôt être vue globalement, comme un groupe d’illustrations présentées chronologiquement permettant de documenter une figure visuelle récurrente.

Une petite précision pour terminer cette introduction: il s’agit là d’un travail d’histoire culturelle où le terme “dino” sera utilisé sans aucune rigueur paléontologique pour désigner globalement des dinosaures mais aussi des animaux qui appartiennent à d’autres genres ou ordres (ptérosaures, plésiosaures, etc.).

ImagesDinomaniaques_02Voici probablement la première représentation d’animaux préhistoriques vers 1830, avant même l’invention du mot dinosaure. Le terme Dinosauria a en effet été proposé par le paléontologue anglais Richard Owen en avril 1842, alors que le nom Megalosaurus avait été forgé dès 1824 par William Buckland, professeur de géologie de l’Université d’Oxford, et que l’Iguanodon avait été inventé par le géologue Gideon Mantell l’année suivante.
Premier anachronisme pour les paléontologues modernes, les animaux figurés de manière fantaisistes ne vivaient pas à la même époque.
Les premières images donnent à voir des animaux gigantesques et étranges, et l’on peut dores et déjà repérer deux premiers tropes visuels:
– l’accumulation d’animaux dans une même scène;
– le combat, la figuration d’animaux féroces qui se battent et s’entre-dévorent.
Dans la suite, les titres des diapositives renvoient aux tropes visuels décrits.

ImagesDinomaniaques_03L’accumulation d’animaux constitue la première figure visuelle qui traverse toute l’histoire de la représentation des dinosaures. Elle est présente sur tous les supports, ici sur une affiche d’un projet de parc, des illustrations extraites des livres, des comics et une affiche de film récente.

ImagesDinomaniaques_04En 1838, John Martin grave une scène de combat entre dinosaures pour un traité du géologue Gideon Mantell. Et en 1863, Louis Figuier dessine une scène de combat tout à fait semblable. Ces deux compositions sont formellement similaires; dans le monde des comics on parlerait de swipe.
L’image en bas à gauche que l’on doit à Charles Knight est extrêmement connue.

ImagesDinomaniaques_05La figure est également très présente dans les films (ici le célèbre Fantasia de Walt Disney), dans les pulps, dans les comics, même lorsqu’ils sont très récents.

ImagesDinomaniaques_06Les dinosaures combattent aussi d’autres espèces d’animaux.
Les deux premières images sont remarquables car elles proviennent d’un magazine scientifique prestigieux, Scientific American. Même si la seconde ne représente pas un dinosaure mais un mammifère disparu, elles montrent toutes deux que le combat entre animaux préhistoriques est une figure visuelle extrêmement répandue.
Le combat de King Kong avec un dinosaure constitue l’affrontement le plus connu du genre; c’est un motif que l’on retrouve régulièrement avec d’autres grands singes.

ImagesDinomaniaques_07La première rencontre entre les animaux antédiluviens et les humains remonte probablement au Voyage au centre de la Terre de Jules Verne. À noter que les deux gravures datant de 1892 ci-dessus représentent des Indiens d’Amérique confrontés à des dinosaures2

Plusieurs artifices narratifs permettent d’”expliquer” la rencontre entre les humains et les dinosaures, de justifier qu’ils peuvent évoluer ensemble dans un même monde possible3:

  • la mise en scène d’”hommes des cavernes” (cavemen) dans un temps lointain indifférencié où l’on confond le paléontologique et le préhistorique;
  • la survivance d’un monde passé dans une localisation inaccessible: sous-terre, dans une jungle, sur une île perdue, etc.
  • les manipulations génétiques qui font revivre des espèces disparues;
  • le voyage dans le temps, où des personnages contemporains sont projetés dans un lointain passé;
  • le voyage dans l’espace, vers d’autres mondes où il existe des dinosaures;
  • la description d’un multivers, un univers parallèle où humains et dinosaures cohabitent.

La figure est très vite devenue omniprésente. Dans notre corpus, plus de 90 % des images collectées représentent également des humains. Autrement dit, ce ne sont pas les dinosaures en tant que tels qui intéressent les auteurs de ces histoires illustrées, mais bien plutôt le comportement des humains dans ces mondes possibles où ils rencontrent couramment des dinosaures.

ImagesDinomaniaques_08Trois figures importantes se confondent parfois dans les pulps et les comics: les héros inspirés de Tarzan (jungle boy et jungle girl), les hommes préhistoriques (cavemen et cavewomen) et les Indiens. De manière un peu extensive, ces personnages qui évoluent au plus près d’une nature hostile et qui sont confrontés à des animaux redoutables sont nommés ici tarzanoïdes ou tarzanides.

ImagesDinomaniaques_09Examinons maintenant les “espèce affines”, c’est-à-dire les figurations d’animaux imaginaires proches des dinosaures.
Les dragons ailés ont parfois des traits dinosauriens. Dans ces illustrations, les critères habituels pour reconnaître les dragons ne sont pas efficaces; par exemple, ils ne crachent pas toujours du feu.

ImagesDinomaniaques_10Les monstres marins eux-aussi ressemblent souvent aux dinosaures, et ils sont pratiquement toujours représentés avec des humains.
La série Gorgo, The Monster from the Sea, a été éditée entre 1960 et 1965. Comme on le voit ici, Gorgo affronte un tyrannosaure en 1963.

ImagesDinomaniaques_11Autre espèce affine, Godzilla bien évidemment4.
Comme on le relève ici, Godzilla a lui aussi affronté des dinosaures.

ImagesDinomaniaques_12Toutes les variétés de dinosaures particulièrement spectaculaires sont bien représentés: diplodocus, iguanodon, triceratops, tyrannosaurus rex, etc. Mais curieusement, les plus représentés sont probablement les ptérosaures (qui ne sont pas des dinosaures, rappelons-le).
Dans les illustrations de livres et les pulps, tout d’abord.

La seconde image présente un effet d’accumulation générateur d’angoisse pour le lecteur, avec une nuée envahissante de volatiles menaçants qui n’est pas sans rappeler le film d’Alfred Hitchcock Les Oiseaux.

ImagesDinomaniaques_13

Dans les comics et les livres récents.
Remarquez à nouveau l’effet Les Oiseaux sur deux images. Cette figure peut être vue comme un véritable stéréotype où les illustrateurs retrouvent, au delà de la confusion phylogénétique, la filiation entre les dinosaures et les oiseaux actuels5.

ImagesDinomaniaques_14Les premiers dinosaures gentils et domestiqués apparaissent semble-t-il dans une série de dessins humoristiques parus à la fin du 19ème siècle dans le journal satirique anglais Punch. Les historiens du cinéma pensent que ces dessins ont inspiré en 1905 le premier film où figurent des dinosaures, Prehistoric Peeps de Lewin Fitzhamon – ce film est malheureusement perdu6.

Les premières véritables bandes dessinées apparaissent au début du vingtième siècle.sous forme de strips publiés dans les journaux.
La dernière planche représentée ici est une histoire de Little Nemopar Winsor McCay, l’une des œuvres majeures de la bande dessinée.

ImagesDinomaniaques_15Il existe une longue et riche tradition de comics, spectacles, films, destinés aux enfants où interviennent des dinosaures.
En 1914, Winsor McCay réalise le film d’animation Gertie the Dinosaur, l’un des premiers dinosaures anthropomorphisés qui influencera leur représentation dans le film Fantasia de Walt Disney.

ImagesDinomaniaques_16La plupart des dinos enfantins ou amusants sont anthropomorphisés, à l’instar des personnages connus que sont Casimir et Barney.
La planche figurant un T. rex aux commandes d’un avion de chasse F-14, extraite de Calvin and Hobbes, est devenue fameuse. Elle illustre la fascination de Calvin pour les dinosaures et plus généralement la stimulation qu’exercent ces animaux étranges sur l’imaginaire des enfants.

ImagesDinomaniaques_17Les bébés dinos sont généralement gentils et s’adressent à un public enfantin. Plus rarement, ils peuvent aussi se révéler très méchants.

ImagesDinomaniaques_18Depuis une illustration célèbre parue à la fin du 19ème siècle dans un ouvrage de Camille Flammarion, le dinosaure est parfois représenté debout près d’un immeuble d’habitation de façon à mettre en évidence sa taille colossale. Par ses caractéristiques formelles bien établies, cette posture à côté d’un building peut être considérée comme un stéréotype.

Dans d’autres images, on s’éloigne du stéréotype lorsque l’animal destructeur s’en prend aux habitations.

ImagesDinomaniaques_19En 1878, Louis Dollo, un paléontologue français vivant en Belgique, démontre que ce que l’on croyait être la corne de l’iguanodon (à la suite de Gideon Mantell) est en réalité un pouce de l’animal. En 1886 pourtant, l’affiche de l’ouvrage de Camille Flammarion Le Monde avant la création de l’homme reprend le motif de la corne sur un animal coloré de manière originale.
Cependant, on découvre en 1883 le Ceratosaurus, un autre dinosaure avec une véritable corne cette fois7.

Les illustrateurs s’emparent de la corne qui devient un motif très répandu, accentuant le caractère menaçant des animaux. La corne unique perdure tout au long de l’histoire de la représentation de divers dinosaures, y compris sous des formes démesurées.

ImagesDinomaniaques_20On observe aussi la corne chez les espèces voisines que sont les dragons et les monstres marins. Il est possible que ces représentations aient été influencées par la corne récurrente de l’iguanodon.

ImagesDinomaniaques_21Intéressons-nous maintenant aux couleurs des animaux représentés.
Il existe une grande variété de motifs et de couleurs.

ImagesDinomaniaques_22Comme on le sait, les dinosaures ont du succès parce qu’ils sont régulièrement imaginés en animaux féroces.
Dès les années 1920, ils s’en prennent aux humains, ils les kidnappent et les croquent.
Dans les années 1940, le sang de la victime est visible.
Plus récemment, sur la 4ème image signée Harvey Kurtzman, les dinosaures sont toujours féroces mais ils exercent leur cruauté avec humour.

ImagesDinomaniaques_23On retrouve un mélange de gore et de dérision dans la série de cartes Dinosaurs Attack.

ImagesDinomaniaques_24Mais ces animaux cruels ne sont pas invulnérables, et les humains parviennent toujours à se défendre et à les blesser à mort.
L’affiche du film Gorgo de 1961 rappelle la mise à mort de King Kong.

ImagesDinomaniaques_25Comme le loup devenu chien, le dinosaure féroce a été rapidement domestiqué, en particulier par les cowboys.
Ce qui rappelle bien sûr la couverture de l’ouvrage classique de Mitchell, The Last Dinosaur Book, empruntée à un magazine fameux de science-fiction. Le livre de Mitchell reproduit très peu de comics et ne contextualise jamais les dessins de pulps qui y sont toujours présentés extraits de leurs mises en pages. Il n’est pas inutile de rappeler ici qu’une partie importante de l’iconographie abondante qui y figure a été publiée initialement dans divers pulps ou magazines.

ImagesDinomaniaques_26Le dinosaure attelé apparaît dès la fin du 19ème siècle et perdure depuis lors. L’ajout d’artefacts culturels comme la roue ou l’attelage signe alors la confusion entre le paléontologique et le début de l’histoire.

ImagesDinomaniaques_27Les représentations de cavaliers (riders) qui montent un dinosaure sont bien plus nombreuses encore. Elles apparaissent elles aussi très tôt et forment l’un des tropes visuels les plus importants.
Les deux dernières images illustrent la figure du cavalier monté sur un ptérodactyle (un ptero-rider) dans un pulp magazine puis dans un comic book.

ImagesDinomaniaques_28La première couverture reproduite ici est devenue célèbre. Ce numéro de Fantastic Adventures paru en 1940 a en effet rencontré un grand succès et l’on estime que cette image à elle seule a sauvé le titre alors en déclin. Cinq années plus tard, le même titre en a publié un swipe, c’est-à-dire une illustration semblable en forme d’hommage.

ImagesDinomaniaques_29Les cavaliers sont très souvent des combattants; parfois ce sont même des aliens. Le paroxysme de la figure guerrière est sans doute atteint par la série d’animation canadienne Dino-Riders. On remarquera que les dinos guerriers sont toujours montés par des cavaliers; il n’existe pratiquement pas de dinos de combat attelés.

ImagesDinomaniaques_30Moins nombreuses, certaines illustrations représentent à l’inverse de paisibles dinos montés qui vivent en excellente intelligence avec les hommes.

ImagesDinomaniaques_31La figure est tellement connue que certains artistes y font une allusion humoristique, par exemple en l’inversant, en transformant un dinosaure en cavalier, ou bien encore en multipliant les cavaliers comme dans le film Les Minions.

ImagesDinomaniaques_32Enfin, en marge des pulps et des comics, n’oublions pas que les dino-riders sont très présents dans les mèmes internet sous la forme d’images amusantes.
Napoléon et Jésus sont parmi les cavaliers les plus représentés sur ces mèmes qui circulent sur les forums, les images boards, ou les réseaux sociaux.
J’ouvre une brève parenthèse parmi ces figures de cavaliers pour rappeler que Jésus est fréquemment représenté dans les mèmes en compagnie de dinosaures pour se moquer du créationnisme. Dans l’exemple reproduit ici, Jésus console un T. rex dépité qui n’a pas pu prendre place sur l’Arche de Noé faute de place.

ImagesDinomaniaques_33L’association dans un même dessin de jeunes femmes et de dinosaures constitue la figure la plus prolifique de la collection. Elle se décline en deux parties.

Tout d’abord le trope visuel “demoiselle en détresse” (damsel in distress), où une jeune femme est menacée par un dinosaure ou un groupe de dinosaures et très souvent sauvée par un intrépide héros.
Le motif est identifiable dès 1887 chez le grand illustrateur Albert Robida. Et l’une des toutes premières véritables “demoiselle en détresse” apparaît dans un film des années 1920.

ImagesDinomaniaques_34La figure de la demoiselle en détresse renvoie à une abondante iconographie classique où l’on peut citer Andromède sauvée par Persée en tuant un monstre marin, ou bien Saint Georges tuant le dragon et délivrant la fille du roi. Ces deux modèles anciens renvoient d’ailleurs aux deux espèces traditionnelles apparentées aux dinosaures. On peut aussi rapprocher cette figure du conte La Belle et la Bête, du film King Kong, etc.
La “demoiselle en détresse”, qui n’est pas seulement menacée par un dinosaure ou un monstre quelconque, est par ailleurs un véritable poncif graphique dans les pulps et les comics.
On la retrouve ici sauvée par un héros bien connu, Tarzan, puis par Kaanga, un “tarzanide”, et enfin kidnappée par un alien (l’alien kidnappeur est une figure bien connue de la science-fiction).

ImagesDinomaniaques_35Voici un swipe intéressant entre un comic book et un pulp qui a copié l’image deux fois à 10 ans d’intervalle.
En passant des comics au pulps, le monstre marin s’est transformé en véritable dinosaure – preuve que ces “espèces affines” ne sont pas si éloignées.

ImagesDinomaniaques_36Très rarement, le personnage sauveteur est une femme.

ImagesDinomaniaques_37Le second trope intitulé ici amazone sexy débute avec l’apparition des guerrières peu vêtues dans les années 1940, puis des jeunes femmes totalement nues dans les années 1950.

ImagesDinomaniaques_38L’image la plus connue du genre est incontestablement celle représentant Raquel Welch sur l’affiche du film Un million d’années avant JC. Ce film sera suivi par plusieurs productions semblables à la fin des années 1960 et au début des années 1970.
À la même époque, les fumetti italiens exploitent le filon plus explicitement encore.

ImagesDinomaniaques_39À la fin des années 1970, les dinosaures deviennent franchement lubriques et le symbolisme sexuel est manifeste.

ImagesDinomaniaques_40Les connotations sexuelles sont toujours explicites à partir des années 1980. Mais la femme n’est alors plus du tout effarouchée, les amazones impétueuses sont omniprésentes. Leurs tenues sont constamment suggestives, même chez une maman qui gronde son enfant.

ImagesDinomaniaques_41Dans les année 2000, le personnage de Shanna, une tarzanide moderne, entretient des rapports ambigus avec les dinosaures.

ImagesDinomaniaques_42L’association de dinosaures avec des jeunes femmes dénudées représentées dans des poses suggestives est désormais un trope visuel largement utilisé dans la culture des comics, comme ici dans ce swipequi rend hommage à la couverture du premier numéro d’Action Comics en 1938 où Superman a fait son apparition8.
Il existe sur Internet des collection de ces images, par exemple le tumblr Dinosaurs and Boobs.

ImagesDinomaniaques_43Récemment, un genre de littérature particulière a fait son apparition: le dinoporn (ou dino-porn) qui décrit des demoiselles en détresse soumises aux caprices de dinosaures divers ou des chasseresses usant de leurs charmes pour capturer ou tuer ces bêtes monstrueuses. Ces productions pornographiques peuvent être considérées comme une variante préhistorique et un point d’aboutissement d’une longue tradition de fantasmes autour de la belle et la bête, tradition largement représentée par ailleurs dans les comics et les mangas hentais9. Elles s’inscrivent dans le courant plus large du genre monster erotica qui décrit des rencontres érotiques improbables avec des créatures tératologiques (minotaures, centaures, griffons, loups-garous, licornes, pieuvres, etc.)10.

ImagesDinomaniaques_44De nombreux héros légendaires ont dû combattre des dinosaures. La plupart de ceux qui sont apparus dans les années 1930 ont affronté cette épreuve très tôt, mais pour certains, ce n’est que récemment que des scénaristes et dessinateurs ont tenté l’association lorsqu’ils ont repris les personnages.

ImagesDinomaniaques_45Les héros de type Tarzan dont nous avons déjà croisé quelques exemplaires méritent une mention spéciale car une multitude d’entre eux ont combattu des dinosaures. À la vérité, il serait sans doute plus judicieux ici de mentionner les personnages de ce genre qui n’ont jamais eu de différends avec des dinos. Pour poursuivre sur notre thème précédent, on relève à ce propos que la figure de la jungle girl sexy a détrôné désormais les tarzanides mâles.

ImagesDinomaniaques_46Qu’en est-il des héros non américains ?
On reconnaît ici plusieurs héros populaires créés par des auteurs français, italiens et allemands.

ImagesDinomaniaques_47Et plusieurs héros de la bande dessinée franco-belge dont certains que l’on n’attendait peut-être pas dans des péripéties dinosauriennes.

ImagesDinomaniaques_48Après le succès fulgurant de Superman en 1938, les éditeurs multiplient les super-héros aux pouvoirs et aux aventures incroyables. Beaucoup d’entre eux affrontent des dinosaures dès les années 1940. Ceux qui sont représentés ici sont peu connus et ils ont eu pour la plupart une existence éphémère.

ImagesDinomaniaques_49Plusieurs super-héros bien plus connus ont également rencontré des dinosaures. Remarquez que ceux-ci peuvent se révéler tout à fait pacifiques lorsqu’ils sont élevés dans une ferme par Captain Marvel.

ImagesDinomaniaques_50Venons-en aux super-héros universellement connus.
Batman est plongé dans l’une des toutes premières histoires où figure une île perdue peuplée de dinosaures. Plus tard, il découvrira qu’il s’agit en fait de robots construits par un super-vilain.
L’archétype des super-héros, Superman, semble quant à lui s’intéresser aux dinos un peu plus tard.

ImagesDinomaniaques_51Deux autres super-héros bien connus, Superboy et Hulk, ont eu également maille à partir avec des dinosaures. L’image de gauche se situe dans l’espace, nous en verrons d’autres. La couverture de droite oppose Hulk à Devil Dinosaur un dino maléfique créé dans les années 1970 par Jack Kirby.

ImagesDinomaniaques_52Mais c’est Wonder Woman qui est incontestablement la championne de la catégorie, la super-héroïne la plus fréquemment confrontée aux dinosaures.
Remarquez au passage les différentes situations évoquées précédemment: ptero-rider, bébé, dinosaure capturé.

ImagesDinomaniaques_53Pour terminer cette série, voici un swipe entre plusieurs super-héros dans la gueule d’un dinosaure.

En résumé, pour les super-héros comme d’ailleurs pour bon nombre de héros classiques, affronter des dinosaures est une activité extrêmement banale.
Si l’on doute que la simple association d’un héros ou d’un super-héros avec des dinosaures constitue un trope visuel, on doit se souvenir que les combinaisons sont toujours extrêmement codifiées, pour l’essentiel  autour du combat et de la domestication.

ImagesDinomaniaques_54Dès la fin des années 1920, l’espace est investi par les dinosaures. On y retrouve la même typologie que sur terre, avec des dinosaures proches des dragons, des ptérodactyles, etc.

La rencontre de deux imageries issues de sciences fortement porteuses de rêves, l’une, la paléontologie, tournée vers le passé lointain et alors en cours de constitution, l’autre orientée vers l’espace et le futur des voyages cosmiques, mérite que l’on s’y arrête. À la fin du 19ème siècle, chez Camille Flammarion et ses illustrateurs tout particulièrement, les deux univers scientifiques demeurent dissociés mais ils se côtoient bien souvent dans les ouvrages de vulgarisation. Ce n’est que 20 à 30 années plus tard que les univers en question se rejoignent et que leurs imageries fusionnent, tout d’abord dans les pulps comme on le voit ici. Cet amalgame progressif entre les dinosaures et l’espace mériterait d’être analysé avec précision.

ImagesDinomaniaques_55Dans les comics ensuite, durant les années 1940. La troisième image est extraite d’une bande dessinée en français et représente aussi des martiens.

ImagesDinomaniaques_56À la même époque, le dessinateur Frank R. Paul publie une série de dessins représentant des scènes sur différents astres. Les compositions de l’artiste sur ces mondes possibles s’inspirent souvent de l’imagerie dinosaurienne. Chacun des dessins est accompagné en page intérieure par une “justification”, une explication de l’illustration à l’aide de vagues intuitions inspirées de faits scientifiques. Ainsi, sur les deux dernières images qui se rapportent à la vie supposée sur la planète Vénus, celle-ci est décrite comme un astre jeune, donc susceptible d’abriter effectivement les formes de vie représentées.

ImagesDinomaniaques_57Voici une autre série du même auteur.
Sur la première image, des aliens semblables à des chats chevauchent des dinosaures.
Le nombre de dinosaures extraterrestres est considérable bien qu’ils semblent actuellement nettement moins utilisés que dans les années 1950-1960. Avec celle du cavalier, cette figure est certainement l’une des plus représentées dans la collection, en deçà cependant de la représentation de jeunes femmes associées aux dinos.

ImagesDinomaniaques_58Les comics des années 1950 et 1960 ont abondamment illustré la rencontre de cosmonautes avec des formes de vie dinosauriennes extra-terrestres. Le trope visuel est devenu tellement ressassé que des artistes contemporains s’en sont emparé en dessinant de fausses couvertures des magazines de l’époque (cf. le dernier dessin de l’illustrateur et auteur de comics Nik Poliwko en 2015).

ImagesDinomaniaques_59Les illustrateurs ont également joué avec les clichés du genre, en représentant des inversions de rôles entre humains et dinosaures anthropomorphisés.

ImagesDinomaniaques_60Pour terminer cette série, notons qu’il est parfois difficile de distinguer un voyage dans l’espace d’un voyage dans le temps si l’on ne connaît pas l’histoire qui est illustrée. L’artiste représente en effet des appareillages et des équipements qui sont tout à fait semblables dans les deux cas.
À noter que la nouvelle A Sound of Thunder de Ray Bradbury a souvent été illustrée.

ImagesDinomaniaques_61Dès les années 1940, la disparition des dinosaures expliquée par la théorie météoritique figure sur quelques illustrations.

ImagesDinomaniaques_62Peu après la fin de la Première guerre mondiale, les histoires de guerre sont mixées avec d’autres genres comme la science-fiction, le fantastique ou l’horreur. Le récit le plus connu de cette époque est The Land That Time Forgot d’Edgar Rice Burroughs. Publié dans un pulp dès 1918, il combine dans une même histoire la Première Guerre mondiale et des dinosaures sur une île où l’évolution est ralentie. Ce roman a conduit d’autres auteurs à figurer des animaux préhistoriques dans des contextes guerriers contemporains, d’abord dans les pulp magazines depuis la fin des années 1920 puis dans les comics à partir des années 1940.
On remarquera à nouveau un effet Les Oiseaux sur l’une des images.

ImagesDinomaniaques_63La série The War that Time Forgot publiée dans Star Spangled War Stories à partir d’avril-mai 1960 est tout à fait remarquable puisqu’elle a duré 8 ans sur une cinquantaine de numéros. Elle s’inspire visiblement du roman d’Edgar Rice Burroughs.
Publiée durant la guerre de Corée, la série est cependant située pendant la Seconde guerre mondiale. Elle met en scène des dinosaures dans des situations de guerre variées et plusieurs des figures visuelles récurrentes que nous avons rencontré sont utilisées.
Si l’on compare les deux dernières images, les animaux préhistoriques sont parfois représentés comme ennemis, rangés du côté japonais, tandis que dans d’autres situations ils apparaissent domestiqués, aidant les soldats américains.

ImagesDinomaniaques_64Les dinos n’hésitent pas à utiliser les grands moyens des humains pour combattre. À plusieurs reprises, ils effectuent de véritables débarquements, comme lors de la seconde guerre mondiale en Normandie ou dans le Pacifique.
La seconde couverture livre une clé: les dinos sont des ennemis de l’ensemble du genre humain, et les Américains et les Japonais doivent s’unir pour les vaincre. Il est possible que ce fascicule ait inspiré le réalisateur John Boorman pour son film Duel dans le Pacifique(Hell in the Pacific, 1968), avec Lee Marvin et Toshiro Mifune.

ImagesDinomaniaques_65La série n’a pas échappé aux swipes. Cependant, alors que dans la série d’origine les dinos ne sont pas toujours ouvertement du côté des ennemis, il n’en est plus de même dans le swipe comme le montre la croix gammée sur le bras du T. rex.

ImagesDinomaniaques_66L’association des dinos aux nazis est ancienne puisqu’elle date de la Seconde guerre mondiale.
En 1943, le T. rex porte l’insigne nazi sur la jambe et paraît bien réel. Pourtant, les pages intérieures du fascicule nous révèlent que ces dinos sont en fait des robots, des machines de guerre en forme de T. rex fabriqués par les Nazis et que le héros Boy King va devoir anéantir.

ImagesDinomaniaques_67Depuis les années 1990, l’embrigadement nazi des dinos est devenu courant. En témoigne le redoutable Tyrannosaurus Reich ainsi que la série Chronos Commandos. Comment expliquer cette association ? Pour paraphraser une phrase célèbre, peut-être parce que comme les dinosaures, les Nazis étaient forts, féroces et qu’ils ont disparu (du moins on peut l’espérer).

ImagesDinomaniaques_68Mentionnons également le jeu Dino D-Day, uchronie fantastique où, en 1942, Hitler est parvenu à ressusciter les dinosaures et a envahi avec eux l’Europe et le bassin méditerranéen. Le jeu est accompagné d’un comic book et de matériel promotionnel sous la forme de faux documents anciens.
Signalons enfin, le film Iron Sky 2 qui sortira en 2016, où l’on pourra voir Hitler en dino-rider chevaucher un T. rex.

ImagesDinomaniaques_69La rencontre entre les dinos et les robots suit deux thématiques.
Tout d’abord les robots engagés dans une lutte contre les dinos.
La troisième image issue de la série Star Spangled War déjà examinée représente un GI robot associé à un véritable GI combattant un dino.

ImagesDinomaniaques_70Second thème, les robots guerriers en forme de dinos, déjà rencontrés à propos des Nazis dès 1943.
Lorsque nous avions abordé les super-héros, vous aviez sans doute remarqué l’absence de références à un super-héros majeur, Spiderman. Comme on le voit sur la troisième image, il est lui aussi mobilisé contre les Zoids, des sortes de machines de guerre en forme de dinos.

ImagesDinomaniaques_71Les robots-dinos sont désormais extrêmement présents dans les magazines ou comics de science-fiction. Ainsi, la série Super Dinosaurmet en scène un T. rex génétiquement modifié, totalement anthropomorphisé et doté de différents équipements robotiques, dont certains sont des armes redoutables. Les dinos augmentés prolifèrent.

ImagesDinomaniaques_72L’évolution naturelle dans d’autres mondes, ou alors des modifications génétiques ou bien encore d’autres raisons obscures ont pu engendrer des créatures hybrides étranges. Ces monstres anthropomorphisés sont toujours menaçants.

ImagesDinomaniaques_73Sans oublier Sauron, connu aussi sous le nom de Lykos, un ptéranodon humanoïde qui évolue dans la série X-Men, et le curieux Ninjasaur, croisement improbable entre une tortue Ninja et un dinosaure.

ImagesDinomaniaques_74Nous avons déjà rencontré les machines à travers les situations de guerre et les robots.
La relation entre la mécanique, les machines et les dinosaures est particulièrement visible dans le travail de Winsor McCay, le créateur de Little Nemo et Gertie the dinosaur. Quelques exemples remarquables sont représentés ici.

ImagesDinomaniaques_75Le rapport des dinos aux moyens de locomotion, et singulièrement aux automobiles, apparaît souvent conflictuel.
Dans les deux séries post-apocalyptiques jumelles que sont Xenozoic Tales et Cadillacs and Dinosaurs, la terre est peuplée d’humains et de formes de vie disparues. Le pétrole n’existe plus, mais un mécanicien ingénieux, probablement formé chez Volkswagen, a réussi à modifier le moteur des voitures pour qu’elles puissent rouler avec de la fiente de dinosaures.

ImagesDinomaniaques_76Le lien entre le pétrole et les dinosaures peut paraître étrange, mais il était commun dans les années 1920 et 1930. On pensait en effet à cette époque que le pétrole est le produit fossile de la transformation géologique de toutes sortes d’organismes vivants préhistoriques, et tout particulièrement des dinosaures.
La compagnie pétrolière américaine Sinclair en a fait l’objet principal de sa communication dès les années 1930. Elle a ensuite créé un parc Dinoland, et toutes ses publicités faisaient références aux dinos. Son logo actuel représente d’ailleurs toujours un dino vert.
On relèvera également que le créateur de Alley Oop, V. T. Hamlin, avait travaillé comme photographe et dessinateur pour différentes compagnies de pétrole au Texas, et il s’intéressait de près à la géologie et à la paléontologie.

ImagesDinomaniaques_77Dans les années 1940 et 1950, l’association entre le pétrole et les dinos est toujours attestée bien qu’elle semble moins représentée. Selon certains commentaires, le film Fantasia de Disney (1940) fait aussi référence à la transformation des dinosaures en pétrole après leur disparition11; cependant, ce n’est pas explicite dans le film.

La compagnie Shell a utilisé la référence aux dinosaures dans une publicité remarquable signée Frederick Siebel, tandis que des comicsmontrent des dinos qui s’abreuvent de pétrole.

ImagesDinomaniaques_78Par la suite, le lien entre pétrole et dinos semble avoir disparu jusqu’à sa réactivation moderne sous des formes diverses.
Remarquez en haut à droite le personnage de Philosoraptor, un mème internet apparu vers 2008 qui représente un raptor philosophe; il pose ici une question pertinente…

ImagesDinomaniaques_79Désormais, le lien supposé entre le pétrole et les dinos inspire certains artistes contemporains.

ImagesDinomaniaques_80Comme on le sait, l’imagerie des dinosaures s’est développée très tôt dans les parcs d’attraction. Le premier d’entre eux, le Crystal Palace à Londres a été inauguré en 1854. Ce parc célèbre comportait des statues réalisées par le sculpteur Benjamin Waterhouse Hawkins sous la direction du paléontologue Richard Owen (certaines sont toujours en place). Les gravures et les magazines de l’époque ont représenté les visiteurs venus admirer ces animaux étranges et colossaux.

L’image de droite extraite du magazine Popular Mechanics figure un remarquable projet de dôme transparent pour une exposition de 1933 à Chicago. C’était une enceinte de confinement permettant de voir en toute sécurité des animaux réputés extrêmement dangereux et pourtant factices. Ce dôme qui n’est pas sans rappeler la volière du film Jurassic World paraît presque avoir été conçu dans le but d’accentuer l’effet de présence du bestiaire exposé.

ImagesDinomaniaques_81Depuis sa création en 1911, Boys’ Life, le magazine mensuel des Boy Scouts of America, a publié de nombreuses histoires et illustrations de dinosaures. Plusieurs de ces histoires mettent en scène des Indiens. Plus originales, quelques représentations évoquent l’imagination du jeune amateur paléontologue qui tente de se représenter ces animaux fabuleux à partir de leurs empreintes ou de leurs os fossilisés.

ImagesDinomaniaques_82Mais plus encore que les expositions ou l’imagination, ce sont les représentations des dinosaures au cinéma qui ont retenu l’attention des magazines populaires. Ainsi, les magazines de vulgarisation scientifique dévoilent les techniques cinématographiques permettant de donner l’illusion de dinosaures réalistes et redoutables. Ils proposent également des sujets sur la prospective des trucages dans ce domaine.

ImagesDinomaniaques_83Pendant que les dessinateurs rêvent de pouvoir filmer des dinosaures bien réels.

ImagesDinomaniaques_84La représentation filmique idéale est celle dans laquelle les dinosaures sortent de l’écran et viennent à la vie, provoquant évidemment l’effroi des spectateurs.

ImagesDinomaniaques_85Les dinosaures, c’est le passé. Les Romains aussi. Dans un raccourci temporel vertigineux, plusieurs illustrations n’hésitent pas à les associer.

ImagesDinomaniaques_86Le bestiaire dinosaurien des pulps et comics est parfois curieux. On y croise ainsi des animaux à deux têtes ou à huit pattes.

ImagesDinomaniaques_87Des bestioles congelées ou invisibles, d’autres qui font du patin à glace, ou bien encore un T. rex rouge cornaqué par une sorte de chimpanzé qui évolue dans un multivers où les dinos cohabitent avec des tribus primitives.

ImagesDinomaniaques_88Quelques exemplaires de dinosaures miniatures.

ImagesDinomaniaques_89Et enfin, une étrange bête munie d’une sorte d’écran sur la tête qui défie par trois fois Superboy dans ce swipe. L’animal, pas très malin, affiche sur son écran ses intentions agressives.

Toutes ces compositions excentriques n’ont guère été reprises ou copiées, elles demeurent isolées et rares, et certaines sont probablement des cas uniques.

L’imagerie des dinosaures – de la taxinomie à la cladistique ?

Plus connus sans doute que les tropes visuels, les tropes narratifs peuvent être décrits comme des artifices récurrents utilisés dans les œuvres de fiction, quels que soient leurs supports. Un trope narratif peut être vu aussi comme un procédé utilisé pour enrichir ou agrémenter une fiction.

Un trope narratif fameux des cultures de l’imaginaire affirme ainsi:
Everything’s Better with Dinosaurs. No exceptions [lire sur tvtropes.org]
Tout est mieux avec des dinosaures. Il n’y a pas d’exceptions

De prime abord, cela semble vrai. L’imagerie des dinos est pléthorique, il en existe de toutes sortes et ils apparaissent dans les situations les plus extravagantes. Et leur utilisation par une multitude de héros et super-héros démontre qu’ils s’adaptent fort bien à une grande variété d’histoires. Bref, les dinos forment un matériau visuel extrêmement malléable largement exploité par les scénaristes et les illustrateurs pour enrichir leurs créations.

Pourtant, le travail décrit ici brièvement montre que l’imagerie des dinos s’inspire en réalité d’un nombre restreint de tropes visuels qui se composent entre eux. Nous en avons décrits seulement quelques-uns mais le résultat actuel de l’enquête en identifie à peu près une vingtaine. L’imagerie en question n’est donc pas aussi débridée qu’il parait au premier regard. Elle peut parfaitement être organisée en figures récurrentes, et il est remarquable que ces tropes visuels soient presque tous identifiables au début de l’apparition des dinosaures dans l’industrie culturelle à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle.

Le trope narratif Tout est mieux avec des dinosaures est donc une “recette” bien trop optimiste, une boutade qui prétend que l’on peut agglomérer un dino à n’importe quelle histoire, et que cela marchera toujours. Notre étude montre au contraire que l’insertion de dinos dans une histoire obéit à des conventions. Les scénaristes et illustrateurs se conforment à des figures de styles graphiques qui sont facilement reconnaissables et qui ont du succès. Les figures qui ne marchent pas ne sont pas reproduites et elles n’existent qu’à quelques exemplaires. Certaines figures semblent même constituer des cas uniques, des hapax graphiques (par exemple le dino à huit pattes). Pour le dire avec un peu d’audace dans un pseudo-langage évolutionniste, la taxinomie de l’imagerie des dinosaures dans les pulps et comics montre que les compositions graphiques qui plaisent au lecteur et génèrent des ventes sont reproduites et deviennent des tropes visuels tandis que les formes qui ne marchent pas s’éteignent rapidement.

Peut-on aller plus loin ? Certainement. Il suffirait de poursuivre le programme engagé en collectant des images sur une échelle bien plus grande, et d’organiser ensuite le corpus réuni en l’indexant plus finement. Sur une base de données plus précise et de plus grande ampleur, il serait alors possible d’analyser les représentations des dinosaures dans les pulps et comics en relation avec l’histoire des découvertes paléontologiques, de repérer l’intégration des nouvelles interprétations scientifiques mais aussi les survivances de représentations archaïques, erronées, fantaisistes. Il serait aussi possible de rechercher des liens de parentés entre les thématiques, d’observer l’évolution des formes visuelles, de comprendre les sources et influences multiples des récurrences visuelles dégagées. En somme, on devrait alors pouvoir aborder un projet bien plus ambitieux et construire ce que l’on pourrait appeler une cladistique de l’imagerie des dinosaures dans la culture ordinaire, c’est-à-dire une classification phylogénétique envisagée dans un contexte dynamique et évolutif des représentations, une taxinomie fondée sur le regroupement des représentations comportant une illustration considérée comme “séminale” – un ancêtre – et toute sa “descendance graphique”12; comme pour la cladistique d’ailleurs, l’une des difficultés serait alors de distinguer entre les similarités visuelles héritées d’un ancêtre commun et les similarités visuelles qui ne sont pas issues d’un héritage évolutif (les “traits analogues“). Le projet dès lors consisterait à déceler, puis dater et sourcer les innovations, les variations évolutives destinées à devenir des figures graphiques récurrentes. Pour ne citer qu’un exemple, analyser l’évolution des images de femmes associées à des dinosaures permettrait de construire une classification plus élaborée des formes visuelles que nous avons juste esquissé à ce sujet. On pourrait alors suivre chronologiquement leurs transformations, étudier les rapports entre les images sexistes et de domination, mais aussi les représentations plus féministes (que l’on songe à Wonder Woman), et s’interroger avec précision, à partir d’un corpus riche et documenté, sur l’image de la femme dans la culture ordinaire.

Références :

Notes :

  1.  Il est facile de retrouver des milliers d’images de dinosaures sur le Web. L’une des difficultés de l’enquête ici décrite consiste à sourcer précisément les illustrations retenues, c’est-à-dire, pour chaque image, identifier le titre, le numéro et la page de la publication d’où elle provient, la date de parution, l’artiste qui l’a réalisé, etc.
  2.  Voir la communication de Julie Roy, Thunderbirds et os sacrés: le dinosaure dans les légendes et cultures indiennes d’Amérique, au cours de ce colloque Dinomaniaques!
  3.  Voir Fictions et mondes possibles, 28 août 2012.
  4.  Voir la communication de Claude Estèbe, Godzilla : monstre ou dinosaure ? au cours de ce colloque Dinomaniaques!
  5.  “Les oiseaux sont les dinosaures actuels“, Guillaume Lecointre et Hervé Le Guyader, Classification phylogénétique du vivant, Belin, 3e édition revue et augmentée, 2006, p. 383.
  6.  Cf. Mark F. Berry, The Dinosaur Filmography, Foreword by Donald Lessem, McFarland & Co Inc, New edition 2005; “Mutt”, Here be Slurpasaurs! – The Evolution of Prehistoric Life on Film, June 23, 2011.
  7.  Merci à Jean Le Loeuff, paléontologue et directeur du Musée des dinosaures à Espéraza, pour cette précision.
  8.  Voir “De Superman à Wittgenstein” – les ressemblances de famille et imitations d’un célèbre dessin, 27 février 2015.
  9.  Voir Dessins incarnés – le cas du hentai, 10 février 2011
  10.  Source: Antonio Dominguez-Leiva, Hiérogamies de l’extrême: pour comprendre le dinosaur porn, 10 août 2013.
  11.  Cf. Randy Moore, Dinosaurs by the Decades, 2014, p. 194.
  12.  “La systématique phylogénétique – ou cladistique – est fondée par Willi Hennig (1913-1976) en 1950 et largement développée au cours de ces trente dernières années. Elle se propose de retrouver les parentés évolutives entre espèces en les rassemblant en groupes monophylétiques, c’est-à-dire en groupes comportant un ancêtre commun et la totalité de ses descendants. Pour cela, elle exploite avec un maximum de rigueur le concept darwinien de descendance avec modification.“, Guillaume Lecointre et Hervé Le Guyader, Classification phylogénétique du vivant, Belin, 3e édition revue et augmentée, 2006, p. 16.

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