En effet (vous avez conscience que) de l’eau, une quantité invraisemblable de gouttes et de seaux, une quantité océanique, était passée sous les arches du pont du Gard. Une quantité tellement gigantesque que nous avions émergé puis coulé et ressorti la tête, encore et encore, et étions resurgi beaucoup plus tard, comme après avoir subi une greffe de temps (dans nos moelles et nos cervelles déjà surbookées), temps imparti supplémentaire, après avoir été soustraits aux combats des arènes de Nîmes l’ultra-gallo-romaine (ce qui ne veut pas dire que nous avions échappé totalement aux batailles navales imposées et dites naumachies, juste . . . que nous en avions réchappé encore marqués de coups et de blessures, encore vieillis au-delà de toute apparence mais en toute vraisemblance en nos fors intérieurs remués et ravagés), donc resurgis avions-nous été . . . . à Rivesaltes, oui vous ne rêvez pas (comment avait-il été possible d’aller ainsi le la Fontaine à ce mince affluent de l’Agly né dans un très vieux puits ?) et très exactement – exactement dans le vieux puits collé derrière l’église, accolé qu’il est au chœur, dans ce premier village des Pyrénées orientales, qu’on prenne l’autoroute ou non, ou le train, en venant de Nîmes et Montpellier, ce département aux trois fleuves inconnus de tous ou presque, aux noms ramassés en très peu de syllabes sonnantes sans trébucher : justement, l’Agly au nord, la Têt au milieu et pour finir au sud du sud le Tech, c’était donc au nord de la Catalogne-Nord, juste après le fort semi-enterré de Salses, porte du Roussillon.

Ce retour en résurgence inattendue, non préparé, presque impossible pour ne pas dire improbable, avait été largement peu glorieux;

nous étions couverts et gluants de boue, passablement épuisés et crotteux de peau et de conscience, ne sachant même si nous avions gagné ou perdu, bien ou mal bataillé, estoqué, tronçonné ou noyé de méchants combattants adverses, ou à peine survécu à leurs coups, lamentablement enfoncés aux eaux tourbeuses du grand bassin de guerre simulée où le spectacle imposé nous avait amenés.

Ainsi, nous gardant de répondre mot aux cris et aux questions des habitants producteurs du meilleur muscat de la terre, encore traumatisés par la disparition récente de l’un des leurs, l’écrivain-vigneron lyrique et fou de sa terre et de sa vigne, Henry Lhéritier, si passionné de peaufiner ses contes gouleyants, ses vins musicaux, ses trésors de mots et de caves,

nous avions (peut-être encore) fui, double honte. 

Chus dans le temps de nouvelles descentes, alourdis de nos montées et retombées en ludions, étourdis et divagués de ces aventures, pentes toujours descendantes et voyages, peu clairs ainsi étions-nous en ce matin où nous nous sommes retrouvés, grandes embrassades et souvenirs, enfin, sans doute pour la toute dernière fois, avec nos amis d’outre-Atlantique Sud revenus nous voir dans ce mas perdu de Maureillas las Illas, plus près du village de Las Illas, donc de l’étrange frontière tenue par les contrebandiers  là-haut, de tous temps ou presque, que de Maureillas qui était le village d’en bas, mas qui avait nom depuis 89,

parce qu’était gravée 27 Juil. 1789 sur sa très vieille et grande et forte porte la date d’arrivée des nouvelles de la capitale, compte tenu du temps que les nouvelles colportées mettaient à arriver en ce temps-là,

« Révolution ». 

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Greta n’avait que peu changé, toujours superbement plantée, juste un peu ratatinée de pommettes saillantes et burinée de joues, Charles, impérial et tassé, riait toujours constamment des yeux et des inflexions de sa voix.

En miroir, nous savions, Natacha et moi, qu’à notre manière un peu raide et joyeuse par éclats nous avions tout autant sinon plus rabougri et tiré des fossettes sans grâce et des plis.

Restaient en bien commun nos mémoires de la grande tuerie, du grand combat que nous avions mené et dont le souvenir, individuellement peu fiable, allait peut-être en ce jour mémorable, peut-être . . . on ne savait pas, se raccorder.

Rien de moins sûr. Tant d’eau avait coulé.

Pourrions-nous raviver les couleurs d’un tissu tant effiloché, ravaudé,

déchiqueté et délavé ?

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