Spider-Man est-il un mythe ?

Publié le 17 février 2013

J’ai un peu l’impression de faire un sort à mon enfance, depuis quelque temps…

Et j’ai compris lors de la sortie du dernier Spider-Man que j’allais devoir m’y coller. Mais Spider-Man, c’est à la fois un gros morceau en matière de notoriété, très au-delà d’Albator par exemple, et un gros morceau de mon imaginaire. Et oui, Spider-Man, c’est MON super héros, celui qui a  accompagné ma triste adolescence. Alors, il me fallait bien quelques mois de réflexion avant de remuer ça.  Mais la dernière adaptation, «The Amazing Spider-Man » de Marc Webb le pourtant bien nommé, a tellement gâché la sauce qu’il ne me semblait pas inutile de revenir sur sa recette. Après tout, l’adaptation était possible puisque Sam Raimi avait réussi à garder les ressorts originaux !

Bon, un mot du titre de ce billet, encore une fois trompeur. Je suis incorrigible. Pas d’histoire de mythe. Quel menteur !

Pourquoi ? Parce que je ne vais pas m’appesantir sur la symbolique du personnage, sur ses racines traditionnelles, sur les doubles natures, animal et humaine que j’ai déjà parcourus pour les femmes chattes ici. Et la comparaison des Supers avec les mythologies… Rebattu.

Et donc, je ne sais pas si Spider-Man est un mythe, car je ne me pose pas la question. Quel menteur !

Non, le mythe ici est éditorial. Et tout de suite, c’est moins sexy. Oui, car dans le monde fermé de la bande dessinée, Spider-Man est un mythe éditorial, un tel mythe d’ailleurs que j’ai le plus grand mal à trouver les sources de ces légendes qui glissent de conversations d’initiées en forum de collectionneur… Je crois que la première source est son auteur principal, Stan Lee, qui a largement contribué à ressasser ce mythe. Et le fait que Spider-Man, dès sa première case, se présente comme tel :

Spider-Man, c’est en effet l’histoire mythique d’une réussite incroyable. Et ce mythe éditorial raconte l’histoire d’un homme, Stan Lee, qui a l’idée de mixer deux ingrédients jusqu’à présent dissociés : Les histoires pour fille et les histoires pour garçon. Ainsi, avant Spider-Man, les bandes dessinées pour garçon sont pleines de « bruit et de fureur », alors que celles pour filles sont pleines d’espérance et de frustration. Les combats d’un côté, les rendez-vous manqués de l’autre. Le mythe raconte donc comment un cuistot génial (et expérimenté) mélange ces ingrédients traditionnels pour fabriquer une sauce nouvelle, qui va prendre, comme une émulsion mêle l’eau et l’huile, et donner une épaisseur nouvelle à la fois au héros et à ses aventures. Car avant Spider-Man, il manquait aux super-machins ces petits quelques choses qui permettent l’identification : une personnalité problématique et une vie privée aussi compliquée que la notre. Que la nôtre ? Hum…

C’est évident que vu d’aujourd’hui, on imagine pas la révolution, mais un super-héros qui n’est originellement ni bon ni méchant et qui cumule problèmes quotidiens et peines de cœur inextricables, c’était inattendu dans le paysage des bandes américaines pour adolescents mâles du tout début des années 60.

Voilà à gauche une planche de “Wendy Parker” , BD “pour fille” de 1953 et à droite une planche de “Peter Parker” de 1965 (Alias Spider-Man) :

Il y a dans Spider-Man tous (et surtout) les ingrédients de la bande de combats, avec son florilège de méchants folkloriques, mais aussi toutes ces histoires de rendez-vous raté,  de rivalités amoureuses et de malentendus, ingrédient du soap opera, mais aussi le héros adolescent à double vie et le contexte scolaire qui évoque 80% des mangas contemporains. Il y a les drames et dilemmes moraux des tragédies. Qui aujourd’hui peut imaginer ce qu’a représenté la mort de Gwen Stacy (une mort qui a sa propre page Wikipédia) dans le monde des lecteurs de BD ? Un séisme ! La copine du héros meurt sous ses yeux, et il est coresponsable de cette mort. Définitivement, Spider-Man, qui portait déjà originellement la culpabilité de la mort de son oncle, n’a plus rien du chevalier sans peur et sans reproche. Il traine sa culpabilité, sa responsabilité et ses regrets comme un fardeau. Il sera systématiquement pris pour le méchant de l’histoire, comme une fatalité qui évoque un vieux personnage de roman populaire français.

La sauce était si bonne, si bonne, qu’elle a assuré instantanément le succès d’une bande dont, d’après Stan Lee lui-même, personne ne voulait en raison même de son étrange nouveauté. Stan Lee aurait profité de la parution du dernier numéro d’Amazing Fantasy pour passer le premier épisode. Et la légende dit que ce numéro allait exploser les ventes de l’année. Voilà comment Spider-Man devient un mythe.

Un éditeur est une entité en général collective qui produit quelque chose pour quelqu’un : le lecteur. Ce lecteur, avec ou sans étude marketing, est primitivement imaginaire. En effet, les auteurs comme les éditeurs projettent un fantasme de lecteur et pensent donc savoir à qui ils s’adressent. C’est pour ça qu’on va retrouver en rayon des livres pour enfants de tel à tel âge, pour les ados ou pour les adultes, et toute la taxonomie éditoriale déclinée en « collections » « genres » et autres « séries » qui sert encore à préciser ce lecteur imaginaire…
Mais tant que le marché ne s’est pas mis en place, le lecteur est et reste imaginaire. C’est vraiment un pur fantasme. Et ce fantasme, dans la réalité économique, est générateur de nombreux malentendus. Il est un cousin éloigné de l’enfant à protéger des agressions qu’affectionne la censure.

Bref, le lecteur est un être imaginaire dans le cerveau de l’auteur et dans celui de l’éditeur. Robert Crumb ne supporte ni les babas ni la musique psychédélique et c’est un des grands drames de sa vie de devoir sa notoriété à ces gens qu’il ne supporte pas.

Avec l’invention scénaristique de Stan Lee, nous assistons à un changement de lecteur imaginaire. Ou plutôt, à une critique implicite du lecteur imaginaire précédent des éditeurs de comics. Un véritable changement de paradigme. Et je suis sûr que Stan Lee, apparemment très content de lui dès la première page, ne pouvait pas être totalement conscient de toutes les conséquences de son idée..

Qui est le lecteur de comics ? En fait, si on met de côté le militaire en campagne chère aux War Comics de Patrick Peccatte et les moins de dix ans,  il y en a deux : La jeune fille en formation pour devenir une parfaite ménagère, et surtout, le «cœur de cible» de la majorité des titres, le jeune garçon hyperactif, scout sur les bords, un poil ingénieur, mais pas trop, futur bon soldat et parfait père de famille. Donc, les comics pour fille sont remplis de prétendants, de téléphones, de robes et quiproquos… les comics pour garçon sont remplis de combat, de preux sentiment et de manichéisme. Et ceci même dans le cadre de la vie civile contemporaine.

Alors, que se passe-t-il dans Spiderman ? Le héros est un ado (déjà vu dans l’humour, mais très rare dans les Supers). Il est bon à l’école, voire très très bon, et même génial, mais… asocial. Il a des lunettes et est plutôt malingre (ça ne va pas durer, puisque…), et donc, dès l’origine, il a des problèmes avec les filles. Mais pas que, car il a vraiment des problèmes sociaux : il est orphelin, pauvre, et passe sont temps confronté à d’humiliants problèmes d’intendances… C’est d’ailleurs à ça qu’on reconnait Spider-Man : ses problèmes d’intendances…

Bon, voilà, le secret de la sauce Stan Lee : Spider-Man est un NERD ! Et ce que dit la BD est : Toi, lecteur, je sais que tu es un NERD ! Et voilà le grand changement de lecteur imaginaire. Stan Lee assume en 1962 quelque chose qui était un tabou chez les éditeurs : les sportifs, les enfants hyperactifs, ceux qui courent et sautent partout, les futurs héros de la nation ne lisent pas de comics, car… ils ne lisent pas ! les adolescents qui nourrissent les éditeurs sont les NERDS ! Spider-Man est donc un réajustement éditorial majeur, et comme de bien entendu, ce comics-là va exploser les ventes. Aujourd’hui, cette histoire serait une non-histoire, celle d’un simple pragmatisme commercial. Mais à l’époque, c’est une histoire hasardeuse et un peu miraculeuse, celle d’un seul homme qui a raison contre tous, si on veut bien croire Stan Lee.

Anecdote personnelle : Au collège, je ne sais pas comment j’en suis venu à parler des Marvel à mon prof de français… Tout ce que je sais, c’est que je l’ai beaucoup intrigué en lui racontant que Spider-Man buvait du lait périmé, ce qui montrait le désir des scénaristes d’apporter une certaine crédibilité à la bande. J’ai apporté quelques Strange à ce professeur, qui ne me les rendra jamais, de la même manière qu’Umberto Eco a perdu ses “Superman” lorsqu’il a eu l’étrange idée de les montrer à des collègues universitaires…

C’était cet épisode de 1976 :

Cet article me permet d’esquisser une réponse à « sous le soleil exactement », pseudo d’une lectrice du billet sur Albator. Car comme elle l’avait parfaitement compris enfant, Albator est aussi un hybride de genre, histoire pour garçon inventé par un auteur qui a commencé dans le Shojo, c’est-à-dire le manga pour fille…

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9 comments

  1. Quelqu’un qui a très bien lu Spiderman, c’est Joss Whedon, dont Buffy contre les vampires reprend de nombreux points : héros poids-plume qui se bat contre des molosses en leur lançant des vannes et qui doit ménager tout à la fois à ses problèmes familiaux et redresser les torts, quand il ne s’agit pas d’empêcher la fin du monde.
    J’aime bien le dessin un peu débile de Ditko, mais mon Spiderman c’est surtout celui de Romita, qui dessinait tellement bien Mary-Jane Watson et Gwnen Stacy, puisqu’il venait entre autres du romance comics (mais bizarrement moins que Jack Kirby, qui est censé être l’inventeur du romance comics, ce que j’ai toujours eu du mal à imaginer vu la dureté des traits de ses personnages féminins.

  2. Je suis encore d’accord avec toi, la période Romita est celle où esthétiquement le mélange soap/action est le plus fluide, grâce à son expérience antérieure… donc grâce aux filles… et aussi à l’époque psyché, fringue, danse… J’avais sélectionné une superbe planche de danse… Mais bon…

    Ha, oui, Buffy a repris l’une des caractéristiques dont je ne parle pas et que tu soulèves : l’humour décalé pendant les combats.

  3. Je suppose que pour Kirby, c’est concevable en considérant que la stylisation à outrance de son trait est progressive dans sa carrière.

    Sinon, pour avoir feuilleté les 20 premières années très rapidement, j’aurais du noter dans le billet que :

    — Le soap est très minoritaire alors qu’il était plus important dans mon souvenir. Ce qui veut dire que les petites touches de soap suffisent à construire l’identité du personnage et de la bande. Et en fait, quand on ne le lit pas en feuilleton, c’est d’un répétitif insupportable ! Les combats peuvent presque se calquer, sans compter qu’il se bat toujours contre les mêmes ennemis.

    — c’est plutôt de la mauvaise BD. D’un point de vu strictement artisanal. On voit très bien qu’il faut que l’épisode parte à l’impression. Pas le temps de revenir sur un dessin ou une composition à l’arrache… C’est souvent fait par-dessus la jambe. Mais ça n’a pas d’importance : C’est du feuilleton !

  4. Le côté soap est important pour le lecteur mais je veux bien croire qu’il ne prend pas beaucoup de place effective, du reste, sinon, j’imagine que j’aurais décroché. Idem avec les amours de Daredevil avec Natasha-la-veuve-noire qui me marquaient beaucoup enfant alors que je suis sûr que cela ne prend qu’une très petite place. Enfin à vérifier, je n’ai pas lu ça depuis longtemps (pourtant j’ai absolument tout).

  5. Oui, il semble que dans l’histoire scénaristique de Spider-Man, l’équilibre entre superhéros et soap était une source de querelle entre les différents auteurs. J’avais l’impression d’avoir suivi la vie privée complète d’un personnage et en feuilletant, on se rend compte qu’en fait, ce ne sont que des combats et parfois une toute petite case de gag ou vie quotidienne. Et tu as raison, si la dose de cafet et rendez-vous avait été supérieure, on aurait changé de public. C’est une vraie recette au dosage subtil !

    haaaaa Natacha ! (niveau au dessus des copines de Spidey)

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