[Source de l’article : www.juliemaroh.com]

La première fois où j’ai ressenti que Nuit Debout servait à quelque chose c’était le mercredi 20 avril à 19h 52, à la Bourse du Travail de Paris. La première fois où j’ai ressenti que le mouvement risquait de vite s’effondrer sur lui-même c’était au même endroit moins de deux heures plus tard.

J’étais allée à ce fameux rendez-vous lancé par Fakir : « Nuit Debout, l’étape d’après ? ». Défilèrent alors syndicats et intellectuels, personnes de terrain et universitaires investi.e.s. C’est là que pour la première fois j’ai entendu le compte-rendu de toutes les actions disparates qui avaient été menées pendant les trois premières semaines du mouvement, tous ces grains de sable dans les rouages du système destructeur, et qui de surcroît avaient fonctionné et obtenu gain de cause. Ça n’était pas médiatisé mais ça marchait. Les vocales envoyées par Frédéric Lordon, succédant aux intervenants déjà remontés, finirent de rendre la salle euphorique et prête à avaler l’Assemblée Nationale d’une bouchée. Pourtant le bon vin tourna au vinaigre. François Ruffin annonça qu’il fallait quitter la salle dans une heure, et sortir de là avec des propositions concrètes quant à la suite du mouvement, que nous apporterions à l’AG de Nuit Debout. Le micro défila dans la salle, chacun n’étant autorisé qu’à parler une minute et à faire des propositions tangibles. Beaucoup de temps fut perdu par confusion, le micro fut pris des mains de certain.e.s, les huées et sifflements ricochaient d’un bout à l’autre, l’agressivité et la frustration commencèrent à monter, opaques. Et surtout, les discours ne tournaient qu’autour de la loi El Khomri. Il me semblait pourtant que Nuit Debout était un mouvement global, qui dénonçait tout un système. J’avais bien des propositions à faire à ce sujet, mais pas en 59 secondes ni face à une foule qui s’engueulait ou n’écoutait déjà plus. Au final, il fut décidé de tenter une alliance Nuit Debout/Syndicats (qui comme on l’a constaté ensuite a plus ou moins pris selon les villes) et Ruffin canalisa la colère ambiante en nous faisant faire un serment :
« Je ne voterai jamais plus PS ! »

Cette soirée est pour moi assez représentative de l’idée que je me fais du mouvement.
Le lendemain je décidai d’exprimer mes propositions à l’Assemblée Populaire sur la place de la République. En deux minutes de tour de parole, tétanisée de prendre le micro face à une telle foule, en recevant l’opposition radicale de quelqu’un qui vint directement contrer mon discours puis interrompue par une tierce personne – qui semblait tout sauf sobre – déterminée à me prendre le micro des mains, autant dire que ce ne fut pas facile.
Voici donc, un peu plus posément, ce que j’y ai exprimé.

Si nous cherchons à « leur faire peur » il ne faut pas négliger ce que nous sommes pour eux : des consommateurs et de la matière combustible.

Consommateurs

En partant du constat que les États sont menés à la baguette par les lois du marché et les grandes multinationales, nous avons déjà le pouvoir de leur tenir tête avec notre portefeuille. 
Par exemple, tous les foyers ordinaires contiennent des produits Monsanto. Il n’y a pas une pièce de la maison qui ne soit pas sous son emprise. Concernant les enseignes de grande distribution vendant ces produits, s’ils ne sous-paient pas leurs effectifs ou jettent les denrées alimentaires, il y a de bonnes chances que leurs directeurs soient évadés fiscaux ou impliqués dans des affaires de violations des droits humains au travail dans les pays en développement (voir sources fin d’article). Quid des 2 tonnes de CO2 pour apporter une banane jusque notre cuisine depuis ces pays ? Quid de l’argent privé et public versé aux banques qui sont coupables de blanchiment d’argent, de manipulation des taux et d’ententes illégales ? Quid de la presse française qui confisque nos réalités au bon vouloir de leurs patrons ?

Une révolution n’aura jamais lieu si on ne remet que les autres en cause. Appliquons nous-même ce qu’on réclame. À chaque moment de notre quotidien nous avons le choix de nourrir ou non la reine de la fourmilière. Mais ça prend du temps, une attention constante, des compromis réels. La grève générale – celle de la consommation – aurait déjà pu avoir lieu, si tous les nuit-deboutistes appliquaient un boycott drastique. Je ne jette pas la pierre, le boycott est un travail de chaque instant, difficile à maintenir pour moi aussi. Comme anticipait déjà Aldous Huxley : « La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader, un système d’esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude. »

Matière combustible

J’en viens au sujet sensible du rapport de Nuit Debout à la police.
Autant au sein de ce mouvement il y a parfois conflit entre ceux qui privilégient les assemblées populaires et ceux qui préfèrent les actions, autant le sujet de la police y divise encore plus, parfois viscéralement, pour ce que j’ai pu observer.
Ce que j’ai dit à l’AG du 21 avril – et je le redis ici – c’est que nous sommes de la matière combustible pour ceux qui gouvernent, et la police l’est autant que nous. Ils gouvernent et nous sommes le charbon. Pour les nourrir, pour leur produire ceci ou cela, pour construire leurs villas, nettoyer leurs chiottes, ramasser leurs ordures, conduire leurs taxis, servir leurs apéritifs, pour les protéger, les divertir, les interviewer, pour aller se prendre des balles sur les champs de bataille qu’ils créent.

Si « nous sommes les 99% », je ne vois pas pourquoi les officiers de police en seraient exclu.e.s, ni pourquoi ils/elles se sentiraient mieux lotis que nous.
En fait tant que nous – contestataires – et policier.e.s nous mettrons sur la gueule, ça arrangera toujours les mêmes : ceux qui nous régissent.
Je ne crois pas que le vent tournera si Nuit Debout renie avoir des frères, des mères, des ami.e.s travaillant dans des commissariats. J’ai un cousin policier, qui m’emmenait voir des concerts reggae quand j’étais ado. Je ne me suis pas mise à le détester lorsque ses acolytes nous aspergeaient de gaz lacrymo dans les manifs. Si j’en ai après quelqu’un ce n’est pas après les pions du préfet et du gouvernement. Et je ne perds pas de vue que, comme dans n’importe quelle frange de la société, il y a des salauds et des perles.
Si Nuit Debout soutient les travailleurs en lutte, quand va-t-on évoquer le fait que les employé.e.s de la police nationale peuvent être en lutte autant que nous ?
J’ai exprimé le même message à l’AG de Nuit Debout Angoulême le lendemain, vendredi 22 avril. J’ai suggéré que nous trouvions un moyen de communiquer avec la police, rédiger un flyer à leur attention. L’idée a plu, une dizaine de personnes se sont détachées du groupe et ensemble nous avons commencé à dresser une liste d’arguments, à même le pavé. Nuit Debout Brissac a été encore plus efficace que nous, allant jusqu’à rédiger un communiqué de presse avec la CGT Police pour un rapprochement entre le mouvement citoyen et la police nationale.

Avez-vous remarqué qu’on ne parle plus de gardiens de la paix mais seulement de forces de l’ordre ? Le choix des mots est important, la police est censée être un service public. Alors que le code de déontologie de la police nationale est subordonné au respect de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et de la Constitution, on ne dit pas bonjour aux policiers comme on salue notre facteur, ce sont des oiseaux de mauvaise augure.
Doit-on rappeler la politique qu’a initié Nicolas Sarkosy, en arrivant au ministère de l’intérieur (ère post 11-Septembre) ? Il s’empressa de supprimer les postes d’ilotiers (police de proximité) mis en place dans les quartiers. Il voulait une police d’ordre et d’affrontement, pas une police qui travaille avec ou pour la population. S’éloignant de sa mission officielle la police nationale redevint une police au service de l’État (comme sous Vichy), non plus du citoyen. Puis, puis… puis…

Je ne sais pas ce que les nuit-deboutistes parisiens décideront de faire lors de la manifestation de la police ce 18 mai, piège tendu sur la Place de la République, mais ne perdons pas de vue que tant qu’eux et nous nous affronterons, notre cible continue son train de vie, bien pépère. Car nous restons des consommateurs contents et de la matière combustible efficace.

– À   S U I V R E –

 

Pour rappel historique : lorsque le matin du 14 juillet 1789 la foule des parisien.ne.s insurgé.e.s forcèrent l’entrée des Invalides pour s’emparer des armes qui y étaient entreposées, les canons ne leur tirèrent pas dessus. Les différents régiments présents refusèrent de s’en prendre aux émeutiers. Sans ce revirement, qui sait comment aurait eu lieu notre Révolution française.

S O U R C E S   &   R I C O C H E T S 

– Italie : des policiers retirent leurs casques en soutien signe de soutien aux manifestants. Même exemple récemment en Thaïlande.

– « La crise actuelle tient aussi dans ce que les gouvernants, de gauche comme de droite, (…) refusent d’assumer que la police ne peut pas tout faire, et qu’elle ne peut pas tout résoudre par la force. « Christian Mouhanna parle de son étude sociologique menée sur 15 ans au sein des services de police. Il parlait également des ilotiers et de la politique Sarkosy aussi sur France Culture : « La police contre les citoyens ? »

– Un CRS témoigne : « Je suis devenu un pion politique ».

– Un ami policier me disait : « Il y a des gens violents des deux bords, dont le gouvernement se sert pour discréditer le mouvement. Aucun ordre clair n’est donné aux forces de l’ordre, et ça pousse au conflit. On nous fout autour de Répu et on nous dit : Empêchez-les de bouger… ». Par conviction, il s’est engagé pour défendre la République. Il a fini sa bière en me disant : « Ce que je fais en moment, c’est pas ça, la police. »

– « Je suis un casseur et je suis sympa »

– « Je ne sais pas ce que veut dire l’ « ordre public », sûrement une forme de vie sociale réduite à se faire exploiter et consommer. En tout cas, la police est là pour maintenir l’ordre social, l’ordre économique, l’ordre politique. Tout cela par l’emploi de la coercition. C’est une des institutions qui participent à la reproduction de cette société pyramidale. Il y’en a d’autres, mais celle-là revendique le monopole de la violence. Elle est là pour distribuer la violence dont les classes dominantes ont besoin. »

– « Tant que nous penserons que nous n’avons pas les compétences requises pour parler de politique, la cause sera perdue. »

– Enquête sur la guerre invisible que les multinationales livrent aux États.

– Les 100 personnes les plus riches ont un revenu annuel qui permettrait d’éradiquer 4 fois la pauvreté dans le monde.

– Découvrez le casier judiciaire de votre banque.

– Passez le test « How many slaves work for you ? »

– Carrefour condamné, les enseignes impliquées dans la catastrophe du Rana Plaza, dont d’ailleurs Auchan dont la direction est suspectée d’évasion fiscale.

– Histoire de Monsanto

– La liste des marques Monsanto à boycotter

– Développement durable VS Décroissance: débat intéressant sur les aléas concrets etc.
J’entendais ailleurs une discussion à propos de l’énergie humaine qui suffirait à créer de l’électricité, par exemple en marchant sur des structures fonctionnant avec ferromagnétisme.

– Si vous voulez sortir du nucléaire, vous pouvez déjà arrêter de consommer chez EDF. La fourniture en électricité est ouverte à la concurrence en France, et votre prochain fournisseur « vert » s’occupera illico de votre transfert.

One thought on “Journal de mes nuits debout (épisode 3)

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