. . . Corbu, le grand Le Corbusier ? ? ? en effet, une de ses œuvres datant de 1928, mais pas que.

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Entre temps, quel drôle de mot familier au lecteur de ces histoires qu’on dessinait à l’époque ! Mais revenons à ce qui se présente

Dans ma vie présente, il y a peu, c’était mon anniversaire, mon anniversaire réel du 7 novembre . . .

 . . . il y a deux jours, donc, et tenez vous bien . . . il ne s’est rien passé de spécial alors que je m’attendais au pire

à voir chaque case d’une certaine page BD s’obscurcir, se hachurer puis tout à coup blanchie, tomber comme une vitre qui se briserait dans une fenêtre à petits carreaux qui chuteraient un par un, ou alors, au mieux

à voir chaque image barrée en travers par une chaîne, par un sens interdit, mais rien de tout ça.

Transgressant toutes les injonctions supposées, j’ai pu relire sans soucis le Secret de la Licorne et le Trésor de Rackham le Rouge en volume double que je venais de m’offrir quasi neuf soldé à 2 € 40 dans une troquante. D’ailleurs pas terrible ce double volume – les facéties des deux flics stupides et chapeautés de noir, les gags du chien blanc, avec ce dessin un peu maigre et appliqué ça va un temps – à part cependant quelques planches parcimonieuses de forêt vierge dans l’île perdue où les perroquets gueulent des injures ancestralement haddockiennes.

Il est vrai qu’à un autre moment de ma vie pas si lointain j’avais eu la tentation d’aller habiter une maison érigée dans le massif des Albères ( là où chutent les Pyrénées en pentes boisées de chênes lièges et verts dans l’impayable générosité chaotique de rochers rouges et le bleu intense, invraisemblable, de la mer) qui avait été dessinée par un jeune disciple de Le Corbusier au moment de la notoriété resplendissante du Maître, maison cas d’école dont personne ne voulait plus aujourd’hui. Mais voilà, malgré les promesses des photos que j’avais vues, je n’en ai pas voulu non plus.

Si je n’en ai pas voulu, malgré l’espace intérieur qui était magnifiquement calculé avec ses ouvertures calées sur les équinoxes et le jeu des proportions des surfaces exposés à la lumière arrivant en gloire au moment de raser, au lever et au coucher du soleil, les contreforts du piémont, c’est que les trois plans inclinés extérieurs, rampes déroulées qui reliaient ses ouvertures (une manie corbuséenne depuis la villa Savoye, ces accès en pente douce se substituant aux escaliers), largement étirées en longues courbes y compris en hauteur et en étage le long des façades, rattachées au petit terrain presque plat dont la villa était entourée, finissaient, excès de zèle du jeune disciple imitateur, emporté d’enthousiasme juvénile, par constituer un lassis beaucoup plus maniériste que fonctionnel et réellement justifié.

C’est dire que fasciné moi-même par le Maître qui imposa longtemps et encore ses normes d’habitat à la planète, j’ai été surpris de le rencontrer à l’ouvrage et un peu indirectement dans un voyage à Tunis où j’ignorais qu’il avait aussi bâti.

Deuxième tableau donc. On pourrait d’ailleurs se demander ce qu’il vient faire ici . . . Par quelle incongruité . . .

C’est qu’au moment d’entrer dans l’arène pour m’y battre et sans doute y périr, ne serait-ce qu’en fiction extra-temporelle et intempestive, ce tableau-là, vivant, me touchait de beaucoup plus près que le premier.

J’étais transporté, transplanté, en train de marcher dans la poussière et les odeurs fortes et ensoleillée du vieux Tunis, j’étais ce très jeune soldat dont je garde dans mes archives cette mystérieuse photographie, qui en uniforme d’époque (1928) est allé se faire photographier (pour devenir quoi après ? mystère total) dans un studio de portraitiste professionnel au fond d’une rue qui n’existe plus – au moins sous son nom d’alors – après sa traversée depuis Marseille avec ou sans escale à Alger durant le protectorat (encore une étrange invention verbale que ce mot) de la France là-bas où déjà le voyage jusqu’à Alger, merveille de la modernité, se faisait en quatre heures seulement.

Qui est-il cet inconnu que j’incarne dans ce tableau vivant que me fait vivre, mystérieusement, sans rapport immédiat mais sans doute, indirectement, la peur qui me prend au ventre ? un lointain grand oncle ? un cousin par alliance ? Personne n’a mis son nom derrière la photographie que je sais, au moment même où je vis de ma propre vie ce tableau et qui sans doute l’a inspiré, avoir dans mes archives familiales. Elle m’a été transmise (la photo ? la vie avec ?) ainsi en héritage, pure image familière et étrangère, ouvertement opaque et pourtant . . . âme et fenêtre incitatives.

C’est de là que tout semble partir. A l’époque, les soldats de métier ou appelés, volontaires ou désignés par le hasard bureaucratique du fonctionnement des armées, des conscriptions, des guerres, des répressions, ou « pacifications », se faisaient portraiturer très officiellement au moment de leur incorporation pour envoyer leur image à la famille, fiers ou pas, patriotes ou non, fatalistes aussi sans doute s’ils imaginaient d’éventuels futurs combats qui risquaient bien de les voir disparaître prématurément.

Dans ce voyage ce qui m’étonna le plus au milieu d’impressions toutes assez violentes, le soleil, la poussière, les voix, les cris, fut le tour que je fis sur la plage dans la baie de Carthage, toujours revêtu de mon uniforme d’époque à épaulettes et fourragère.

J’avais marché et pris le tramway, puis le train, pour me rendre à la Goulette dans un court mais très agréable périple pour tenter d’aller jeter un œil, pas très loin de là, à « ce pays romain » dont parle René Cagnat qui vient d’y faire un tour à peine avant moi au cours de l’année 1927, ayant lui-même en main la lettre sur les fouilles de Bir-Ftouha d’Alfred-Louis Delattre, pour y repérer dans la ville de Didon, Carthage donc, cette Carthage qui fit « crever de rage » Flaubert, sur quelques vestiges dont ce sarcophage d’enfant à limago clipeata (entendez une image enfermée dans une sorte de cercle en forme de bouclier) qui représente son visage d’enfant sage et vivant. Bien sûr c’était me priver de cette visite au bordel officiel – l’un parmi dix ou douze – (il l’est encore aujourd’hui et les royalties qu’il engendre rentrent toujours dans les caisses de l’Etat,  successivement ottoman, français à l’époque du protectorat et tunisien enfin par le canal du ministère de la santé aujourd’hui) de l’impasse Abdallah Guech, visite que m’avait chaudement recommandée l’adjudant en charge des recrues qui était déjà devenu presque un copain, bizarrement et vite, sans doute parce que ma tête de naïf appliqué l’amusait. Je vois encore la photo lascive d’une demoiselle à la fois nue et voilée, reine de ces lieux qu’il m’avait secrètement montrée, finalement pas si différente des vedettes orientalisées mises en avant sur  la scène des cabarets les plus courus de Paris ou Marseille.

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