Je parle maintenant de celui qui était assis dans la rangée derrière nous et juste derrière moi,

il venait sans rien dire, apparemment épuisé, alors que je venais moi-même de ranger ma tablette avec des images de Nîmes sous la neige que j’emportais en souvenir car l’entretien semblait parti pour durer, de se déplacer et donc écoutait tout. C’était « Le Petit Suisse » : tout avec des majuscules même à Petit, dénomination déposée et contrôlée m’affirmerait-on un peu plus tard. Lui, Le Petit Suisse en personne ne disait rien et en fait, malgré l’appellation déposée, son buste avait l’air assez long puisque j’avais l’impression qu’il allait fondre sur moi de son nez qu’il avait grand, en piquée, donc il ne disait rien, c’était vraiment pas un grand bavard . . . (inclusion ici d’une longue tranche de silence comme on peut si on veut et on sait introduire un peu ou pas mal de crème fraîche dans le fromage) il aurait pu intervenir et ça finissait par être gênant de l’avoir muet dans le dos et en hauteur alors qu’on parlait de lui;

en revanche son coéquipier qui allait bientôt devenir le mien parlait pour deux et il est absolument nécessaire, pour suivre l’histoire, que vous soyez au courant et donc que je vous rapporte le discours de ce premier comparse qui assis à côté de moi, allait m’être plus secourable et utile qu’on n’aurait pu l’imaginer et avait pour surnom Glandu et qui lui servait en quelque sorte de porte parole ou, pour mieux dire, de Monsieur Loyal, vous savez, celui qui annonce en grande pompe, et assis sur un siège d’avion qui vous enveloppe un peu et limite vos gestes, en grande pompe ce n’est pas commode à faire ! mais restaient l’expression des yeux, les mimiques, les torsions de bouche, les soulèvement de sourcils, les mains agitées devant le visage en vraies marionnettes pour souligner les exploits futurs et passés du héro en train de monter sur la piste et qui pour l’instant se tenait au bord, qui n’en pouvait mais :

D’abord, il faut vous dire que Le Petit Suisse est très grand, commença-t-il

(Suivit un court silence.)

Il a tout fait, tout vécu, tout subi sans se plaindre . . . et triomphé. C’est peu de le dire, vous n’imaginez pas, être affronté à la mort et à la merde, oui, j’ai bien dit, insistait-il, et en plus il est fort comme un géant, 1 mètre 99, 119 kilos, pas un de trop.

(Tout juste s’il n’ajoutait pas en me regardant dans le blanc des yeux : oui Messieurs, Mesdames, comme si pour parler de ce prodige de la nature, bien relatif d’ailleurs, j’en avais vu de plus grands et plus carrés, mais c’est vrai qu’autant que je l’aie aperçu derrière moi en me retournant il avait l’air d’un très bel homme, plus musclé que soufflé . . . comme s’il s’adressait à travers moi, à une foule immense, avant de continuer et . . . . je ne mets plus en italique, ça complique inutilement 🙂

Il a été successivement, disait-il, surveillant et certificateur de fosses septiques, presque cureur ou nettoyeur lui-même pourrait-on croire . . . presque, superviseur et contrôleur, ensuite comme ce métier bidon et totalement merdique qui consistait à distribuer contre récompense variable et sans même ouvrir le pot aux roses des bacs de bactéries bouffeuses de caca, des certificats de conformité aux vendeurs peu regardants de quelques habitations hors agglomérations mal raccordées aux commodités urbaines, il a occupé un rôle de croque-morts, un des plus beaux métiers sur terre.

Imaginez. Celui qui avant d’envoyer le défunt faire un tour du côté des divinités de l’enfer, lui refait une bouille et une tenue allongée sereine et présentable, sans raideur, même s’il a été saisi par la faucheuse dans une position peu confortable ou recommandable pour l’éternité, qui lui raccroche la mâchoire si elle a déjà décroché et lui met les mains, déjà recroquevillées en griffes accrochées aux rebords du monde, jointes en douce prière avant de le déposer dans cette caisse molletonnée en forme de cerf volant un peu lourd et de la soulever pour le Grand Départ. Et . . . avant, juste avant, de lui mordre avec vigueur, oui . . . l’orteil, c’est ça, là où on accroche l’étiquette à la morgue.

En effet, cette coutume très ancienne et ravivée voici deux siècles, n’est pas morte. C’est même à ça qu’on voit un bon croque-mort et c’est pour ça qu’on le paie. Pour éviter d’être enterré vif.

Imaginez ce qu’il a pu croquer comme masse orteillique en cette période fatale et pandémique.

Il était formel mais avouez qu’il y avait des raisons de douter de tout ça; alors à par moi je me dis dans ma tête :

Oui je savais bien que cette phobie existait, que quelques grands hommes des années 1800-1850 et quelques y avaient succombé, instruits par quelques exemples fameux, montés en épingle dans la presse de l’époque, scandale d’enterrés vivants n’ayant survécu à leur inhumation que par hasard ou subterfuge, en cognant assez tôt aux parois du cercueil, en criant fort, très fort avant d’étouffer, en se débattant, en, par anticipation extraordinaire et intuition prémonitoire, faisant placer un tube d’aération dans le haut du cercueil, débouchant discrètement sous un clou mal enfoncé, au cas où . . . !

Il n’empêche je commençais dans ma tête à me demander si j’avais bien fait d’accepter de rentrer en contact avec cette équipe de foutus hurluberlus, ravagés – branquignoles douteux et tout sauf fiables en apparence.

Quel rapport avec la mission que je m’étais fixée pouvaient avoir un soi-disant se disant soi-même espion . . . vrai conteur hors pair et un muet et certes sans doute très costaud croque-mort émérite ?

Il me fallait, il était urgent de me recentrer sur ma mission : réussir à gagner Baïkonour sans encombre et réussir par subterfuge à me faire très vite embaucher comme fac totum sur la première fusée en partance vers la station spatiale . . . alors même que tout le monde prétendait et réussissait plus ou moins à faire jaillir de partout de nouvelles fusées qui un jour atteindraient la cible qu’on voudrait, chargées de plein de gens de tout poil ne me laissant plus aucun emploi, ni scrutateur de processus d’épuration des cloaques extraterrestres, ni embaumeur de momies emportées en orbite spatiale, ni encore moins chroniqueur espion des exploits de l’humanité exploitant les dernières ressources de l’univers encore à portée de lancements de projectiles propulsés hors orbite terrestre.

A ce moment-là l’espion bavard reprit :

Il a surtout exercé sous divers tropiques, au Brésil, en Indonésie, au Vietnam, mousson, typhon ou pandémie à l’oeuvre . . . la fonction qui, citoyen suisse authentique, d’humeur égale et joyeuse, parfait voyageur, lui vaut son appellation et son surnom : il sait parfaitement fabriquer avec du bon lait entier, quelle que soit la température extérieure, et même sous l’équateur, de fabuleux petits suisses, il en a retrouvé la plus ancienne recette, meilleure que celle de nos fabricants normands qui prétendent l’avoir inventée.

J’entendis derrière mon dos le son de sa voix, il dit :

  • Oui, tout cela n’est pas triste.

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