[dropcap]Q[/dropcap]uand je l’interrogeai à nouveau et peut-être l’avais-je déjà un peu trop bombardé, il se contentait de virevolter autour de la pièce en regardant mon décor.

— C’est quoi ce truc ?

Il était planté devant une de ces foules de personnages griffés sur la toile et grimaçants, vêtus de brocart de soie brodé d’or, armés de sceptres et bâtons de commandement et parés de bijoux fabuleux que Fernando Duval, le dessinateur et peintre brésilien, place depuis des lustres sur une planète d’exil où très loin de notre galaxie, accompagnés de chiens artificiels qui ne chient ni n’aboient, ils parodient l’horreur de mondes subalternes.

— Tu fais dans l’humour vache ?

Il s’esclaffait devant une gravure accrochée dans le même coin, au milieu du pêle-mêle de tableaux et dessins que j’ai jointoyés et empilés au sol, parfois, faute de pouvoir accrocher tout en juxtaposé dans ma salle rustique, travail d’un autre Brésilien du sud, proche du Rio de la Plata, Eduardo, dont j’avais perdu la trace après tant d’années.  Il avait le nez collé dessus et c’est vrai qu’il faut beaucoup s’approcher pour voir, blanc sur blanc, non encré, à peine boursouflé sur le papier, ce minuscule gaucho qui lance son lasso sur le bestiau qui court tout petit au milieu d’un rectangle lui-même presque invisible, qui vient se plaquer, à peine en relief dans une assez grande feuille toute blanche encadrée d’argent.

Au dehors, le vent soufflait en rafales projetant des aiguilles de pin sur les vitres sales de mes carreaux de fenêtres, que je n’avais pas trop le souci de nettoyer avant les tempêtes, encore moins que jamais. Vu au travers, le pin couché sur un de ses pareils, ils avaient tout deux été déracinés par le vent et l’effondrement de la berge mais avaient continué à croître ainsi, allongés et liés l’un à l’autre, vibrait comme les ailes d’une cigale géante et jouait très curieusement une partition de musique sérielle par intervalle et en renversement.

Là je me pince pour ne pas rire en racontant ces conneries.

Mais sur le moment c’était plutôt l’inquiétude.

Je m’assis un peu théâtralement, continuant à le regarder bien droit, sur la partie la moins enfoncés et la plus confortable de ce divan fait de deux grands coussins accrochés à un monumental cadre de jacaranda, ç’avait été le morceau de roi de mon dernier déménagement, malgré les coutures voyantes de son cuir blond récupéré, élimé et rapiécé, qui venait du marché hippie d’Ipanéma où je l’avais acquis il y a vraiment fort longtemps, du temps ou Rio etait presque une ville calme comparé à aujourd’hui, espérant qu’il allait en faire autant et  bientôt poser ses petites fesses musclées.

Il continuait à fureter, à l’aise, sans se soucier de moi.

Mais qu’était venu faire ici, sur ces rivages délaissés, oubliés par les assauts de la gloire qui avait battu ses flots et fait rage ici autant que la mer changeante, le fils de Dio ?

Pourquoi s’était-il raccroché à moi, l’ami de longue date du grand et mystérieux disparu, alors qu’il ne m’avait jamais vu ?

En avait-il lui-même une idée ?

à suivre…

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