. . . tellement fou. Il s’est trouvé que dans l’avion, un juste derrière et l’autre juste devant, les rangées étant en partie vides, et sans aucun doute . . . je les connaissais ces deux-là, étaient assis deux drôles de zouaves. Celui qui était derrière moi vint s’assoir, malgré les consignes, tout à côté de moi.

Je n’ai jamais su son nom, on l’appelait « Glandu » ou « Cossard » la première fois où je l’ai vu et d’ailleurs très peu de temps. Il était à un moment de sa vie et de la mienne, passé par Nîmes où je l’avais rencontré parce que l’une de ses connaissances, un « ami de longue date » m’avait-on dit, était venu faire des travaux d’électricité chez moi et qu’un jour j’avais été chez lui pour lui rendre des outils qu’il avait oubliés sur le chantier et que ce jour là il y avait une fête semble-t-il improvisée en l’honneur de l’ami de passage – cet ami d’ami qui était maintenant dans l’avion à côté de mon siège – fête à la fin de laquelle, il devait être trois heures de l’après-midi ou plus, tout le monde rigolait, beaucoup de bouteilles traînaient sur les tables, et on lui offrait quand j’arrivais une vieille truelle rouillée et un cul de sac de ciment dans une surenchère de marrade. C’était donc une façon de se foutre de lui et de son inaptitude à travailler de ses dix doigts pour faire quoi que ce soit et encore moins construire ou réparer sa maison comme un simple maçon. Cérémonie qui m’avait parue ambigüe, d’autant que le personnage semblait plutôt malin. En revanche, cet ancien typographe, grand lecteur autodidacte, qui avait été militaire et agent spécial selon ses dires, qui avait été, toujours selon lui, cent fois parachuté pour des missions non officielles mais capitales, souvent nocturnes, sur des lieux dont il n’avait pu consulter ni cartes ni coordonnées, qui avait, selon ses propres dires, un vrai savoir en matière de maniement d’explosifs et, ça transparaissait à chaque instant, une grande culture historique ainsi qu’une mémoire fabuleuse des contextes politiques dans lesquelles il avait travaillé, même si c’était en ignorant tout des circonstances particulières ayant motivé ses mssions rapides et indécelables une fois qu’il avait gommé son passage, était, vous l’aurez deviné, un conteur hors-pair.

Nous avions d’autant plus sympathisé que je lui avais raconté quelques unes de mes propres missions secrètes parmi les avortées ou annulées au dernier moment (je n’étais qu’un agent spécial occasionnel, peu entraîné et surnuméraire n’ayant mené cette double vie qu’en de rares occasions et on ne me confiait pas forcément des tâches devant impérativement aboutir) en changeant et les dates et les lieux, ça va de soi. C’était d’ailleurs une des choses qui nous rapprochaient, cette impossibilité non dite mais rigoureusement appliquée de part et d’autre, ça va sans dire, sous menace de représailles immédiates contre nous, en général fatales au fauteur, de divulguer la nature et les tenants et aboutissants de nos aventure occultes, ressorts de l’action que lui me disait d’ailleurs n’avoir jamais connus, pour avoir été simple exécutant à un niveau très inférieur de la hiérarchie, et à ce titre, non informé des raisons et des objectifs des actes qu’il lui était demandé d’exécuter en aveugle.

Bien sûr je ne l’avais cru qu’à demi. Certaines de ses réflexions me poussaient à penser qu’il était à rebours de ses dires, un peu comme l’excellent chauffeur prénommé Télesphore, celui qui porte au loin, que j’avais dû utiliser dans mes missions officielles au Congo, bien plus élevé dans le rang de ses fonctions d’espion auprès de nous que ne le laissait supposer cette couverture aussi modeste que pratique, lui donnant l’occasion, non seulement de se déplacer presque à son grès, mais surtout, d’être présent à des rendez-vous stratégiques puisqu’il y accompagnait partout ses employeurs.

Il était clair que de toutes façons, lancé dans cette aventure un peu inconsidérément, sans introduction, sans préparation, sans alliés sur place, je devais faire feu de tout bois et ne pas me priver, en l’occurrence, de cette présence dans l’avion et ensuite peut-être sur place, avant débarquement dans l’inconnu, d’une aide ou au moins d’une connivence possible, au moins celles de la nationalité et de la langue, atouts que je savais pleins de potentialités.

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