Il avait frappé si fort et si longtemps que j’avais eu le temps de rêver que la chaise en chutant se fracassait en heurtant le fond granitique avec un bruit de vieux cargo rouillé, dégorgeant et mazoutant, vrai cataclysme, et ensuite qu’elle continuait à chanter dans cet absurde et dénommé

             opéra-bouffe-indie-soap . . . . qui aurait osé prétendre être, sans ridicule,

           quelque chose comme la suite modeste mais sans complexe du stupéfiant

           » EEEEEEEEEÊÊÊEEEEEEEETRRRE   DIEU  » du prophète de Figueras en personne

qu’avait fomenté mon cerveau englouti encore dans les torpeurs matinales.

La porte était épaisse et ce très jeune homme élégant – il n’y avait ni sonnette ni heurtoir, ni clochette – me montra, ou du moins, tenait encore en main une des chaise avec laquelle il avait frappé. Mais il y avait aussi, tout à côté de lui, une échelle qui était restée dehors, toute rouillée, sous le pommier nain, sauvage, grimpant contre la fenêtre de l’arrière cuisine où David avait entreposé tous les récipients, tubes, pinceaux, cutters et pots de yaourt dont il se servait quand il peignait ses mini-apocalypses sur carton et sur bois.

Et non, ce n’était pas une chaise bleu azur de la Côte du même nom qu’il avait en main. Le modèle n’avait rien à voir.

Et lui qui se présenta comme « Trois Minutes »,

===  Trrrrois minutes, c’est le temps que je consacrrrre à ma surrrrvie chaque jourrrrr, avait-il dit fièrement

ce qui ne me surprit qu’à demi, n’était ni un démarcheur, manifestement, ni un ami; il était selon ses dires natif d’Hispaniola (nous ne saurions jamais de quel côté exactement de la frontière qui sépare Haïti de la Republique Dominicaine et d’ailleurs, c’était étrange, il parlait le français avec une certaine préciosité et l’accent créole en roulant les R très fort et quand il parlait l’espagnol, il n’en  roulait aucun . . .), et se revendiquait voleur de haut vol, ayant fait son apprentissage et ses preuves, pour commencer, sur les plages caraïbes; mais autant lui céder la parole, il dit exactement  :

 ===   Je vous ai rrrrencontrrrré pour la prrremière fois à Cuba (qu’il prononçait nettement « couba »).

Bon, c’était un peu absurde en apparence, comme affirmation, qu’est-ce qu’un Dominicain ou un Haïtien en quête d’une meilleure vie aurait été faire dans une île dont beaucoup de malins comme lui cherchaient encore aujourd’hui à s’échapper par tous les moyens; mais il continua sur un ton d’absolu véracité son histoire :

===    Quand je vous ai rrrencontrrré, vous étiez dans un mauvais passss.

Et c’était parfaitement vrai que m’étant fait suspendre de mon cursus puis carrément exclure de l’école de cinéma et ne voulant pas pour autant quitter Cuba, ni La Havane immédiatement, où je me trouvais plutôt bien, j’aurais eu quelques difficultés à passer au travers de quelques contrôles sans le sauf-conduit que j’avais obtenu, je ne savais trop par quelle filière et lui disait que c’était justement par la sienne, ce qui était bien possible mais ne me faisait pas pour autant me souvenir de lui, de sa tête comme passée au four, un peu recuite et chafouinée, de sa corpulence de gosse poussé un peu de guingois – on aurait dit quand il parlait qu’l se balançait par timidité, mais ce n’était pas le cas, et qu’il allait se renverser en arrière sur ses longues jambes, son torse réduit en hauteur faisait croire qu’il s’ouvrait horizontalement, en accordéon, quand il respirait ; peut-être l’avais-je rencontré en arrière plan de quelque réunion de voyous ou de semi-déclassés,  dans ces faubourgs où nous allions chercher des figurants sans aucune autorisation de l’école. Son image oubliée parlait un peu à mas souvenirs.

Le fait incontestable c’est qu’il était devenu, après avoir franchi le cap de plusieurs formations nulle part homologuées, un as de la fauche. De quelques billets pliés, serviettes ou lunettes, il était passé, heureuse époque pour les petits et grands barboteurs, au portable, à l’ultra-portable, à l’ultra-plat et léger parleur photographieur, calepin mémoriseur, copieur archiveur reproducteur baladeur, écran tout en un double de nos vies, de nos rêves, visions, explorations,  à ces lames de rasoir dans lesquelles nous mettons tous nos comptes, nos sons et nos images.

Il me raconta en particulier, preuves sonnantes et vibrantes à l’appui, son sac était rempli de portables dernier cri, comment il venait à peine d’écumer les salles, amphis, halls et couloirs du Mobile World Congress de Barcelone, subtilisant avec sa dextérité hors norme les engins multipliés que chaque participant détenait en double ou en triple et de dimension et de poids de plus en plus réduit, pendant la séance de présentation de VR, le show de Réalité Virtuelle durant laquelle s’était pointé Mark Zuckerberg, toutes sortes de machines laissés dans les poches ou même presque au bout des doigts sans vraie surveillance par ceux qui avaient les yeux occupés dans leur casque, ailleurs, dans de prodigieuses visions circulaires les cernant ou les envoûtant, ou déjà distraits par cette apparition du dieu vivant des conversations entre amis.

Note :  si vous  vous demandez  qui est Patricia (celle qui a dessiné et peint la chaise et l’échelle),  vous allez bientôt le savoir. À suivre . . .

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