Au milieu d’un carrefour qui n’était matérialisé, en pleine plaine aquatique toute plate et sans bornes apparentes (quelle étendue d’eau était-ce là ? comment avaient-ils creusé ça, si grand, si large, sous la ville sans qu’elle s’effondre ? questions idiotes bien sûr, il fallait s’adapter un point c’est tout), que par cette double pancarte plantée là ou plutôt suspendue à rien, flottant sur l’eau profonde au milieu du flot nourri des bolides, scooters, barques rapides et silhouettes de surfeurs et patineurs, on avait le choix entre deux directions opposées et deux flèches :
Ophtalmic Route à gauche et Oral à droite.
Le courant des véhicules se coupait en effet en deux bras.
C’était apparu à un moment imprévisible, quand la circulation, se densifiant dangereusement, dessinant des stries lumineuses éblouissantes et reflétées sur le miroir noir opaque des eaux souterraines, devenait stridente, déchirante pour l’œil et compacte pour les oreilles malgré l’usage obligatoire mais relatif – et qui aurait exigé un contrôle plus strict . . . – des silencieux posés sur tous les moyens de propulsion des véhicules en déplacement curvi ou rectiligne sur ce pallier horizontal,
à savoir :
ailerons, patins, moteurs à air classiques et « magic roll« , le nouveau truc incroyable qui propulsait tout corps à la surface d’un liquide dans une dimension qu’Archimède n’aurait même pas imaginée, mais au prix d’un sifflement si aigu qu’il transperçait par moment le mur du supportable et traversait la tête de part en part comme une lance ou une flèche lancée à l’arquebuse.
Il fallait donc choisir à toute allure dans cet entrecroisement hyperdensifié de sensations brûlantes,
[ici manque cruellement une représentation graphique de ces sons incessants et stridents]
ce que fit sans peine aucune et sans manifester le moindre signe de souffrance ou concentration spéciale, visage impassible en demi-sourire, le barreur de notre barque lourde et lente qui était un vieux pro de la godille, de la joute et de nombre de jeux aquatiques traditionnels, natif des environs de Nîmes, en ce qu’on appelait depuis une bonne décade m’avait-on expliqué, la Haute Vaunage, entendez les collines longeant au loin les voies multipliées de circulation par où passait régulièrement, plus que jamais, toute l’Europe des gens, vacanciers ou travailleurs et des marchandises vivantes, empilées ou usinées et qui, entraîné qu’il était au cueillettes d’huîtres à la hussarde et aux courses sur étang ainsi qu’aux ramassés de cocardes sur le dos des vachettes des villages environnants depuis sa jeunesse sémillante, avait acquis des réflexes de cascadeur des arènes, de pirate des eaux saumâtres et de gardian empoigneur et renverseur de bêtes à cornes tout à la fois, amplifiés et développés en toutes sortes de parcours et rodéos camarguais.
Et oui, n’en déplaise aux opposants des jeux taurins et des brutalités festives sur bovins, la tradition du plat pays des garrigues grillées et gratinées de soleil, étendues paludières anophéliques et costières vinicolées de plus en plus productives et vinifiées, s’était apparemment maintenue dans ces temps nouveaux, nouveaux pour nous, passagers recueillis à l’instant, en ces années où on s’apprêtait à commémorer, lointain passé totalement ignoré des engins, robots, drones et chars autonomes chargés de poursuivre la guerre par d’autres moyens, aujourd’hui, dans des contrées heureusement encore éloignées, le centenaire de l’armistice de 1945.
Cette bifurcation n’avait pas fini de nous surprendre, nous les aliens introduits du passé.
D’autant que nous ne comprenions pas très bien, à vrai dire, rien d’abord.
Après avoir viré à gauche dans la direction » Ophtalmic Route » apparaissait au-dessus de nous une enseigne lumineuse mystérieuse qui disait :
ELRIC PRODUCTIONS©
put drops in yours eyes
and yours glasses
Amoureux de la Catalogne, david domitien duquerroigt y vit maintenant un peu retiré du monde. S’il a côtoyé une partie de sa vie, avant la chute du mur de Berlin, les attachés culturels us ou soviets, sans avoir autant qu’eux l’air d’un espion, c’est que à côté de ses contes utopiques, caché derrière les ronds de jambes de ses représentations diplomatiques, il s’est donné pour tâche d’écrire secrètement l’histoire compliquée de Dio Darko Brac, l’agent de la délégation de la défense extérieure, détaché auprès de la section ne figurant sur aucun organigramme de la direction des affaires étrangères non élucidées.
La nouvelle histoire que ddd met en route après son blog ayant pour siège la gare de Perpignan sur le Nouvel Obs et son essai de raconter sa vie ou son ultramort sous la Maison Carrée de Nîmes, est celle, amicale et nostalgique de la rencontre avec le fils de Dio, un jeune homme tranquille.
Mais voici tout à coup que ddd se retrouve à nouveau, aux approches de la maison Carrée, dans son archi-dessous envahi par les eaux après être passé par le fond de son jardin . . . pour une nouvelle aventure bionico-sf.