[dropcap]Il[/dropcap] fallait s’approcher à quelques centimètres pour l’entendre.

Alors il emplissait et effaçait le silence de la nuit.

Même sa fraîcheur.

Difficile à décrire en quelques mots un bruit pareil empli de tant de sonorités.

Il faudrait des pages, un récit complet, des volumes, une encyclopédie.

Un bruit d’orchestre symphonique et de foule autour d’un kiosque, de défilé militaire au bord d’une esplanade et de course automobile dans les rues de la même ville, de carnaval avec danseurs et chars, surplombé de gradins bondés de gens debout hurlant, chantant, de « banda » jouant sur le quai et de train freinant et arrivant sous les voûtes immenses d’un gare, d’envol subit, bruit d’ailes comme des applaudissements dans le silence d’une multitude d’oiseaux planant bientôt au-dessus d’un lac rose d’algues et de sel en décantation, cris répétés, jetés, trouant l’air, enfoncés comme des flèches, d’une chanteuse de bel canto vocalisant inlassablement des arpèges devant sa fenêtre ouverte, tentatives perçantes, grinçantes, d’un enfant apprenant à déchiffrer une partition au violon seul dans son salon, cacophonie de dispute à plusieurs voix finissant en harmonie d’opéra.

Sorte de film complet dont la bande son assez puissante effacerait l’image virée au noir, calcinée, puis miraculeusement susciterait en retour toutes les images dessinées dans le moindre détail.

Car ce bruit assourdissant finissait par faire naître en fenêtres successives, une série d’images, un défilé de cases de bandes dessinées alignées en bandes, bourrées de personnages et de détails, brins d’herbes, feuilles, poil sur le nez, rougeur des joues, ongle rongé, noisette, s’échappant en rubans dans la nuit.

J’étais saisi d’effroi. Il y avait là quelque chose de trop concentré, compact, surchargé, inconséquent.

Au cœur de la nuit étant debout, éveillé devant un coffre invisible occupant un parallélépipède à corniche d’un mètre de haut ou presque reposant sur un socle le mettant légèrement au-dessus du sol herbeux et humide des évaporations nocturnes et lui permettant un appui avec un très léger enfoncement dans ce sol inculte et ingrat que je croyais connaître.

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