On souligne beaucoup ces jours-ci les liens de Lucky Luke avec le cinéma, et celui de John Ford en particulier. Mais il faut aussi rappeler que le western était bien vivant en bande dessinées à la grande époque de Morris. Dans Spirou, puis dans Pilote, Lucky Luke se tenait côte à côte avec des récits réalistes de l’univers qu’il parodiait.

Dans un premier temps, le voisin sérieux s’est nommé Red Ryder.

Selon l’historien Maurice Horn, Red Ryder est de loin le plus populaire des strips de western dans les années 1940, très vite adapté en comic books, à la radio et en serials pour le cinéma. Il est élu strip préféré du Boys’ Club of America. Créée en 1938, la série est traduite dans Spirou dès 1939, et y sera ensuite publiée par intermittence jusqu’en 1951. Jijé va même en dessiner, lorsque le matériel américain cessera d’arriver en 1942.

Dupuis publiera aussi sept albums de Red Ryder, qui comportent une pub pour ceux de Lucky Luke.

Rien d’étonnant donc à ce que Morris y fasse une référence directe en 1956 dans Joss Jamon, alors même que la bande n’est plus publiée dans Spirou. Non seulement le dessinateur a pu la lire dans le journal à partir de 1939, mais il a forcément eu accès à l’original aux États-Unis de 1948 à 1955. Goscinny, lui, y était depuis 1945.

Pour bien relire Lucky Luke, il est donc intéressant de relire en parallèle son contemporain réaliste, quitte à surinterpréter une partie des influences qu’on y voit.

On trouvera donc, dans l’inventaire :

Un shérif en fauteuil.

   

Une cachette dans le foin.

Un cuistot chinois.

Un troupeau paniqué.

Un exercice de rodéo

Un maire pourri qui accueille le shérif qui va le coffrer.

Une meule de paille et son pyromane.

Une caravane pour la Californie qu’il faut escorter.

Plus surprenant, la poursuite dans le désert, passage obligé des récits scénarisés par Morris, est joliment mise en avant dans une aventure de Red Ryder en 1939 dans Spirou. On pense à Cigarette Caesar, à Hors-la-loi, à Chasse à l’homme et surtout au retour de Joe-la-Gachette.

Le plus remarquable, c’est cette fratrie imbécile publiée dans Spirou juste avant Hors-la-loi. On pense bien sûr aux Dupondt, mais ces deux jumeaux ont aussi un air de famille évident avec les ennemis récurrents de Lucky Luke.

Dans les albums de Goscinny aussi, il y a des ressemblances étonnantes. Notamment Western Circus, qui fait écho à un épisode de mai à juillet 1946 où Red Ryder rejoint un cirque. Le méchant de service, pour nuire à la directrice, ouvre la porte de la cage du lion et finit capturé par l’éléphant. En introduction, nous aurons aussi fait la connaissance d’un homme-squelette nommé Bones, bien dans l’esprit du croque-mort du même nom. A noter que le surnom, « os » pour les non-anglophones, désignait aux USA tout à la fois les maigrichons comme Sinatra et les chirurgiens. L’influence de Red Ryder est d’autant plus douteuse que Goscinny part faire son service militaire en France en mai 1946 – mais la proximité thématique mérite d’être soulignée.

On pourrait poursuivre la comparaison sur l’après-Goscinny. Red Ryder vient ainsi en aide à un journaliste courageux confronté à la corruption, et capture une bande de malfaiteurs cachés dans une diligence fantôme. Cela parlera aux lecteurs de Lucky Luke.

Morris disait de Red Ryder que « C’était un très bon strip, bien dessiné. » Pourtant, dans leur rubrique sur le 9e Art, il laissera son camarade Vankeer se charger de l’article. « Loin d’être la représentation d’un Far West de pacotille, Red Ryder a la valeur d’un documentaire historique. »

Effectivement, le dessin était assez poussé, avec notamment des décors authentiques : des données très loin de la parodie de Lucky Luke. Outre son dessin réaliste, Red Ryder avait d’autres différences fondamentales avec l’univers de Morris. Le personnage principal était accompagné par Petit Castor (Little Beaver), qui inspira directement le Petit Caniche de Tibet, et par une femme à poigne nommée Duchesse, nettement plus positive que Ma Dalton. Red était aussi un héros moins pur que les cow-boys chantants de l’entre-deux-guerres, prêt à vendre ses services pour gagner un peu d’argent.

Le strip perdit en popularité dans les années 1950, Fred Harman se reposant de plus en plus sur des ghosts. La propriété de Red Ryder passa au McNaught syndicate, puis au King Features, jusqu’à son arrêt définitif en 1964. Lucky Luke, lui, continuait. À ses côtés, on trouvait de nouveaux cow-boys.

2 thoughts on “Lucky Luke : mon voisin Red Ryder

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