Nous l’avions remonté et descendu ensemble quelques nombreuses fois déjà.
L’espace nous avait séparés souvent, ceci expliquant cela.
A chaque retrouvaille nous n’en finissions pas et de parler du passé et de nous préoccuper de l’avenir. Concrètement il m’était déjà arrivé de faire quelques petits films et photos parfaitement innocents et amateurs de nos rencontres épisodiques. Habituellement je leur montrais ces traces de moments déjà écoulés presque aussitôt et sans aucun travail de l’image, même pas recadrage, sans retouche. Un jour cependant j’avais hésité à le faire et avais finalement renoncé prétextant une avarie technique de mes appareils pourtant peu sophistiqués.

Mais là . . .

C’était tout autre chose.

Il ne s’agissait plus de mouvements des lèvres ou du tour de l’œil un peu disgracieux, de cou en fanon ou de grimace moche mais finalement acceptable. Oui, c’est le mot-clé.

C’était devenu inacceptable à nos yeux et pour nous, qu’aurait ce été pour d’autres ?

Le petit déjeuner en prit des allures de tragédie quand ayant laissé choir ma cuillère à café, n’oublions pas que, veillant en pérégrinant autour de ma pierre invisible et cubique, je n’avais pas dormi, Charles dans un mouvement vif et charitable voulut m’aider et, se penchant en avant, tomba la face et les joues contre mes genoux et ne put se relever sans que bandant mes muscles perclus par une nuit sans repos je le hisse et le sorte de ce mauvais pas en mettant dans mes efforts autant d’énergie dans mon corps qu’en dépense mécaniquement une remontée hélitreuillée en d’autres lieux et à autre échelle de sauvetage.

Sa face à l’issue de ce combat et de cet exploit matinal était bien passée outre du cramoisi comme on pouvait s’y attendre – là je parle de Charles -, la mienne je n’ose pas y penser, devait être ravinée de sueur et pantelante d’essoufflement, proche de respirer l’agonie, bref c’était atroce et irracontable bien que plus tard encore, ne jurer de rien, je fus attelé et affairé à le faire. Dame ! Quelle aventure . . . au-delà de la vieillesse ennemie et des rigueurs connues et proscrites par nos classiques des approches mimées sur scène des tracas du trépas.

C’était d’autant plus horrible que nous avions vécu, juste avant . . . et leur séjour avait été long et bénéfique, des moments de bord de mer heureux et toutes proportions gardées, quasi athlétiques.

Gréta nageait raide comme un de ces anciens fers à repasser qui se serait tenu debout dans l’eau au lieu de reposer sur la plaque brûlante, avec une dignité de duchesse dansant la gigue avec ses bras, mais tenait à atteindre la bouée posée au loin sur l’espace réservé aux baigneurs; c’était surtout le retour vers la plage qui était un peu long et périlleux surtout si le vent se mettait à remuer des vaguelettes dont on pouvait penser qu’elles allaient trop facilement la submerger et l’engloutir malgré son cou tenu droit en pénétrant rapidement par sa bouche maintenue entrouverte par l’exercice. Charles nageait sur le dos avec assez d’habileté à ses côtés et l’encourageait ou la refrénait constamment, habitude qu’il avait gardée de sa jeunesse et de ses prouesses de barreur dans les courses d’aviron sur le Rio de la Plata.

Nous suivions ou précédions moqueurs, avec cette naïade qui m’accompagne encore en mer, heureux de deviser dans l’eau avec ces amis si rares et épisodiques, abandonnés et retrouvés par séquences, conscients de vivre un feuilleton de bonheur qui n’allait pas durer. Mais peut-on imaginer l’infamie du temps ?

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.