[dropcap]C[/dropcap]’était impossible à imaginer un truc pareil.
Ça n’aurait jamais dû arriver.

Tout ça parce que j’allais replonger.

Alors qu’on ne plonge pas seul, surtout en hiver.

Je suis tout sauf raisonnable, chaque fois qu’il s’agit de plonger, c’est pareil.

Il fallait que j’y aille voir ou revoir cette chaise incongrue qui se trouvait là.

Sur le sable blanc je voyais qu’elle me faisait signe de sa silhouette et de sa couleur à nulle autre pareille.

Profitant en quelque sorte du départ de Marko à Barcelone où il devait aller toucher en espèces le cachet modique d’un petit film où  il avait joué le rôle d’un Français s’exclamant positivement sur la qualité d’un cognac fabriqué en Espagne et plus trop vendu, ni en Espagne, ni ailleurs, qu’il pousse un cri de joie ou un typiquement français « oh ! lala ! », sachant que Trinidad qui avait repris son boulot allait me faire entendre sa voix , en passant devant le promontoire où j’habitais, depuis le micro du bateau où elle commenterait aujourd’hui les beautés de la Côte encore presque, par endroits, assez sauvage et justement dite Sauvage, sachant que ma solitude allait durer un peu, j’en avais profité,  donc, pour préparer mes petites affaires pour une plongée de reconnaissance sans chichis, sans bouteille, en carapace de caoutchouc léger,  petites palmes sans trop de membrure pour éventuellement s’accrocher plus facilement à un rocher, même avec des eaux agitées, plomb à la ceinture, vitre du masque craché direct à la bouche, pour éviter la buée et tuba tout simple, court, sachant que l’eau n’était pas finalement si froide encore, après ce Noël indien. Et j’étais maintenant, après une courte et lente descente en apnée,  en dégonflant juste la bouée intérieure de mes poumons, corps et bras groupés, pieds joints, tête en bas, tout près de la chaise bleue qui, vue de près et grossie par le verre séparant l’air de l’eau devant mes yeux, n’était plus tellement bleue.

Elle avait bien oxydé sa surface, vue de près et contrairement aux  premières  apparences.

Et sous elle, une ombre bizarre.

Non, je ne rêvais pas, c’était un homard.

Un très gros homard.

Un de ces homards pleins d’expérience qui, ayant survécu dans ces failles telluriques qui s’avancent en gorges et gouffres étroits et parallèles au devant du cap Creux et protègent certaines bêtes, peut-être aussi des monstres antédiluviens, des tempêtes et des chaluts, peuvent atteindre plus de quarante ans de vie, voire le double ou le triple, dit-on. Le fait est que la bestiole à torse de sphinx noir-violet, tête enfoncée dans le cou, yeux pédonculés blancs habituellement mobiles, pinces surdimmensionnées en gros bras et pattes d’araignée,  au lieu de s’affoler, restait immobile et en partie masquée par la claire-voie des lamelles de l’assise de la chaise et l’ombre d’un dénivelé dans le sable où elle reposait, sachant qu’elle ne devait pas bouger un cil.

Faire deux choses d’un coup, pensai-je vite et présomptueusement, l’épingler au sol de la pointe du poignard que j’avais toujours sur moi en plongée  et bien mémoriser l’état de la chaise, ensuite je remonte aussitôt. Ainsi j’aurais pu au retour préparer un festin de saison et rendre compte de ma mission de reconnaissance.

homard

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