Je sais seulement que je ne devrais pas.

Ayant déjà tellement combattu.
Ayant déjà eu toutes sortes d’ennuis quand je vivais clandestinement tranquille puis ensuite officiellement recherché, allongé sur mon lit de repos entouré de tablettes antiques ou pas, sous la Maison Carrée restaurée et blanchie, dans cette ville qui a pour emblème un croco gueule ouverte, enchaîné à une palme qui vit dans le lointain passé. Ensuite, quand débusqué de cette planque mi-enterrée, hors temps, trop centrale et trop connue, m’en sortant plutôt mal, installé dans un coin perdu du Cap Creux, à la recherche du héro perdu, j’ai vraiment tout perdu, tout lâché et vu débouler son fils, puis une chaise bleue, puis une femme digne d’Ulysse et des tortures de l’art du siècle dernier.

(Enfin ici-même ce fut un immense plaisir de découvrir les aventures dessinées, ici même sur Marsam, avec tant de dynamisme et de violence graphique par le jeune Théo Vilacèque  et de voir que je n’étais pas le seul à faire baston de rue et à mener campagne).

Ayant déjà échappé au pire (une fois de plus) quand j’avais outrepassé les limites assignées à l’espion dormant que j’étais devenu à ce moment-là dans le village d’Ultramort, je serais tenté de me risquer encore aujourd’hui, au-delà dans ce coup-là.

Ayant entre temps malencontreusement repris, au Mas dit Dingue pas pour des pommes bien qu’il y en eut, des activités interrompues, ayant mal affronté des tâches de bûcheron amateur sans préparation suffisante, moi moucheron agile et maigre chat, je sais que je ne devrais pas raconter ça. Surtout dans ce généreux atelier où je dépense mes ardeurs de tâcheron, aussi ouvert soit-il, ce lieu inouï, aux expériences comportant des risques certains.

Donc nous y voilà, à pied d’oeuvre, passés sous Antonin le Pieux et virant à droite sous le flot des véhicules venant là à notre rencontre mais plus haut, sur la chaussée qui nous surplombe et virant à gauche dans le même sens que nous mais au-dessus de nous qui venons en barque, nous, quelques rameurs aguerris, Charles, Gréta, Natacha et moi.

Ici commence,

à l’abri des satellites affrontés en masse dans leur course effrénée ou entés par fatigue et décrépitude dans notre atmosphère, déchiquetés par des chocs violents de congénères ou broyés au contact de l’air dés la plus haute altitude, qui ont commencé à tomber en pluie de ferraille de la stratosphère sur la surface exposée de notre terre,

un immense plan d’eau noire, masse souterraine à la ville, lac insoupçonné, patinoire de nos ébats.

Parenthèse : Il semble qu’ils aient eu beaucoup de mal à régler la circulation externe, aérienne ou terrestre, nos successeurs. Quelques générations semblent être passées entre-temps. Les véhicules volants de toutes tailles, chenilles collectives ou ULM allégés unipersonnels parfois réduits à des chaussures ailées appelées pédila, ont rapidement débordé l’espace aérien des villes.  L’espace horizontal à fleur de terre a, exception faite de quelques avenues, été rendu aux piétons, comme dans ce projet du grand Léonard où la noblesse à cheval et à pied circulait librement dans des jardins. Nous voilà donc sous cette plateforme libérée, après une légère chute roturière, tombés en dénivelé et livrés à ce nouvel espace aquatique, le plus bas, où circulent à toute vapeur, avec juste des échappements d’air, en trajectoires ondulées, gracieuses, des esquifs infiniment plus rapides que nous.

Tout cela pourrait être acceptable.

N’était l’exclamation (angoisse assurée) lancée par les quelques rameurs rescapés de notre barque au passage, reposant sur un îlot, d’une petite reproduction de statue d’empereur, je ne sais trop lequel, violemment éclairée d’un rayon vermeil creusé d’ombres et reflétée dans l’eau noire :

  • Ave Caesar, morituri te salutant !

 

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