Chapitre 2

Contexte local d’Ego comme X : l’écurie Delcourt

Si la portée d’une œuvre, d’un auteur, d’un collectif d’auteur, d’une école, d’un mouvement artistique peuvent espérer dépasser leur « localité » (géographique) d’ancrage, il peut être pertinent, ne serait-ce que pour facilité le travail ultérieur laissé à des penseurs plus sérieux que moi, de contextualiser au plus près leurs lieux et leurs moments d’émergence historiques.

J’ai systématiquement occulté cette « localisation » (du moins géographique) du Journal, par exemple1 et pour des raisons explicitées en son sein. Je poursuivrai cette occultation pour les mêmes raisons, laissant aux enquêteurs, férus de foucaldisme et de bourdieuseries jusqu’à l’oxymore, le soin de poursuivre plus avant, s’il leur chaut, cette investigation insuffisamment signifiante à mon sens pour avoir pris la peine de le faire moi-même. Je vais cependant resserrer l’étau de cette possible localisation par quelques informations, cadastrales obligées.

S’il me paraît peu important de donner les noms des lieux dans mon propre travail autobiographique, d’en délivrer l’information de manière affirmative, il peut être pertinent de le faire dans un but sociologique et, encore une fois, pour aider d’autres chercheurs derrière moi. Dire ainsi qu’une structure éditoriale naît en province, à la campagne, dans une ville de 10000 habitants ou une grande métropole peut avoir son poids (ne serait-ce que l’accessibilité aux matériels ou au techniques d’impression, l’importance ou la pauvreté d’un réseau pouvant avoir aussi une influence considérable sur la stabilité d’un groupe, etc.). Ainsi paraît-il important de dire où Ego comme X ne fut pas créée : Ego comme X ne fut pas une structure métropolitaine, par exemple. Ego comme X fut créée en « province ».

Cela à son importance au moins autant que de dire que Bittercomix naquit en Afrique du sud ou que Fréon émergea en Belgique. Le Cri du Margouillat, par exemple, structure plus récente, doit sans doute quelques de ses spécificités à son insularité (île de la Réunion). En revanche, le devenir de L’Association doit sans doute pour partie d’avoir été créée à Paris. Je ne suis, encore une fois, ni historien stipendié ni sociologue. Je me contenterai donc de délivrer les informations en ma possession pour les aider. Autant parlerai-je dans un autre chapitre des « proximités » d’esprit entre toutes les structures qui furent réunies sous le vocable impropre d’« indépendants » (une petite mise au point sur ce terme, choisi par défaut à l’époque mais qui resta à tort, sera faite un peu plus bas), les diversités géographiques et culturelles n’empêchant pas la communion d’idées qui présida à la création dudit vocable. Ce qui importe ici est de situer une proximité physique plus immédiate qui peut donner quelques lumières à l’émergence de la structure Ego comme X : il s’agit de ce que je nommerai « l’écurie Delcourt » et, plus précisément, de l’atelier Sanzot à Angoulême.

Cet atelier fut créé en 1995, fusion de « l’Atelier du Second » et de « l’Atelier Brol », et réunit jusqu’en 2006 des dizaines de jeunes auteurs dont une grande majorité sortait de l’atelier bande dessinée des Beaux-Arts d’Angoulême, qui ne s’appelait pas encore l’EESI. D’aussi loin que je me souvienne, cet atelier émergea au tout début des années 90, à l’initiative d’auteurs devenus, ou en instance de le devenir, professionnels et cherchant à se fédérer pour mettre en commun tout ce qu’un atelier peut apporter de plus et de confort en sus de la table à dessin que chacun aménage comme il peut chez soi.

Historiquement et localement, les jeunes auteurs angoumoisins ont toujours eu à déplorer un manque de moyens ou de volonté municipale pour favoriser leur ancrage in situ. Le schéma classique du parcours d’un jeune auteur de bande dessinée non-métropolitain étant, généralement, de rejoindre la capitale le plus tôt possible pour faire carrière et travailler dans des conditions décentes, la plupart des maisons d’édition y étant généralement situées. Comme l’école d’art d’Angoulême était l’une des rares à l’époque à proposer (et propose encore aujourd’hui, de manière plus structurée, peut-être) un cursus de bande dessinée, il est évident qu’elle généra un vivier de jeunes auteurs, plus nombreux que dans n’importe quelle autre ville (à l’exception et avec les écoles des Gobelins à Paris et Émile Cohl à Lyon…). Si je disais plus en amont que le schéma classique du parcours d’un jeune auteur est de rejoindre au plus tôt la capitale après ses études, c’est aussi souvent parce qu’il est assez « seul » dans la ville qui l’a vu naître ou suivre ses études. Dans une ville où une école propose un cursus de bande dessinée, le choix de ne pas quitter la ville en question devient alors possible. S’offre à lui un autre choix, connexe mais pas des moindres, à savoir celui de se retrouver ou de rester avec certains de ses camarades et de fonder un atelier, un fanzine, voire les deux. Angoulême n’a pas manqué d’ateliers d’auteurs, jeunes ou moins jeunes. Mais ils furent tous le fruit d’initiatives personnelles ou collectives ascendantes et autonomes, regroupant trois ou quatre personnes, se débrouillant par leurs moyens propres pour louer un petit appartement en commun ou un ancien local commercial afin de s’y installer. Le Salon de la Bande dessinée (il s’appelait encore ainsi dans les années 90) était une association en partie subventionnée par la Municipalité et l’école d’art fut longtemps et encore dans ces années-là, une école municipale puis régionale. Mais hormis ces deux structures, il n’est pas inutile de dire qu’Angoulême, en tant que ville, ne donna aucun autre moyen aux auteurs, jeunes ou moins jeunes, illustrateurs, scénaristes, dessinateurs et autres artistes plasticiens ou acteurs de l’image, pour encourager leur ancrage local et éviter leur fatale migration vers des cieux plus cléments. J’ai eu assez tôt la formule consistant à dire qu’Angoulême ne faisait pas de Service après-Vente.

Si l’école d’art avait déjà quelques années, c’est seulement en 1986 qu’elle fut ouverte dans le bâtiment qu’on lui connaît aujourd’hui, sur l’îlot appelé « Le Nil », une ancienne papèterie enjambant la Charente. Moi-même j’entrais aux Beaux-Arts d’Angoulême l’année même d’ouverture de ses portes. Avant cette ouverture, elle était scindée en trois parties et dans trois lieux différents, aussi loin que possible les uns des autres. Cela eut aussi son poids historique local. Je ne saurais déterminer s’il y a un lien de causalité entre la création de l’atelier Sanzot, la volonté des auteurs à faire bouger la Municipalité d’alors (encore sous l’égide du légendaire Jean-Michel Boucheron, pour le meilleur et pour le pire de l’histoire angoumoisine) et cette scission naturelle entre les « anciens » (qui connurent une école scindée) et les « nouveaux », dont moi, Loïc Néhou ou Xavier Mussat (qui ne connurent que l’école unifiée), toujours est-il que l’atelier Sanzot fut créé essentiellement avec et par des « anciens ». Des « anciens » (lors qu’une seule année nous séparait, ce qui fait peu de choses aujourd’hui mais détermina sans doute de nombreux choix futurs), je reconnais surtout des collègues et camarades tels qu’Alain Ayroles, Bruno Maïorana, Jean-Luc Loyer, Isabelle Dethan, Masbou, Claire Wendling, Pierre Mazan, Jean-Christophe Fournier, Turf, Tiburce Ogier, Pierre-Yves Gabrion… Il est à noter qu’y passèrent certain De Crécy ou Pakito Bolino. Mais je ne nomme et ne m’intéresse ici qu’à ceux qui « restèrent » dans la ville, passèrent ou créèrent l’atelier Sanzot. Il est également intéressant de noter que les noms pré-cités sont et furent ceux d’auteurs travaillant ou débutant presque tous chez l’éditeur Guy Delcourt. Cette maison n’était pas tellement plus ancienne, à l’époque, que l’atelier Sanzot. Elle commença ses parutions avec une grande partie des élèves émergents de l’école d’Angoulême. D’où le sens de ce chapitre de ma contre-Histoire.

Pour revenir au contexte local, les autrices et auteurs du Sanzot (enfin, surtout auteurs puisqu’il faut rappeler que la bande dessinée était historiquement une activité, si ce n’est une profession, majoritairement masculine) furent donc rapidement englobés dans le vocable d’« écurie Delcourt ». Le terme, s’il exhale le doux parfum du haras d’élevage de poulains, n’en garde pas moins une certaine pertinence, tout autant si ce n’est bien plus que celui d’« indépendants ». En effet, dans la mesure où il existait assez peu de maisons d’édition à l’époque, la plupart des jeunes auteurs frais émoulus de l’école d’art d’Angoulême s’orientaient assez naturellement vers cette jeune maison d’édition. Pour caricaturer la situation historique locale, je pourrais écrire simplement : anciens étudiants de l’atelier bande dessinée des Beaux-Arts d’Angoulême = jeunes auteurs Delcourt. C’est bien plus tard, sans doute vers la fin des années 90, qu’ancien étudiant de l’atelier bande dessinée ne signifia plus systématiquement « jeune auteur Delcourt » mais tout une diversité d’autres possibilités éditoriales et, parmi elles, la possibilité d’un ancrage local. C’est dans ce contexte générique que naquit Ego comme X, entre autre.

Outre quelques fanzines, Ego comme X fut la première et la seule maison d’éditions de bande dessinée ancrée localement à Angoulême et ce sans partage pendant plusieurs années (je pense de 1994 à 1998). Par le contexte émergent et par elle l’ancrage local de certains auteurs devint possible. Il faudra attendre quelques conséquentes années pour que d’autres structures professionnelles se fixent localement parmi lesquelles, entre autre, Coconino & C°. Une information liminaire, sans que je parvienne à en déterminer les causes, Ego comme X malgré son succès naissant et ses gages de qualité eut curieusement une étrange influence répulsive sur les étudiants qui préférèrent en grande majorité aller voir toujours ailleurs même si nombre de leurs travaux aurait pu s’inscrire dans la logique éditoriale de la maison. Mais baste, prenons acte : après un règne sans partage de quelques années, bien que sans volonté particulière d’hégémonie, Ego comme X cessa d’être seule,  d’autres maisons d’édition, plus jeunes, naquirent après elle.

À cette époque, soit avant 92/94, je ne connaissais ni ne fréquentais aucun des auteurs cités plus haut. Comme je l’ai précisé, j’ai suivi tous les cursus de l’école d’art à l’exception même du cursus de bande dessinée. Il était lui-même très ostracisé en son sein, et de manière péjorative : tout étudiant qui se destinait, après ou sans être passé par la « première année commune », à y entrer était quelque peu raillé. Il y avait une sorte de mépris de classe (jusqu’au sens scolaire du terme, pour le coup) de nombre d’élèves de l’école vis-à-vis de ces élèves-ci, qui reconduisaient panurgiquement l’habitus du corps enseignant qui méprisait sans trop s’en cacher aussi bien ledit cursus que leurs professeurs. Les étudiants qui se destinaient alors à la bande dessinée étaient considérés comme moins intéressants, artistiquement dévoyés, sans goûts, voire puériles. Cette rumeur reproduisait le mépris général de l’ensemble du milieu artistique et culturel pour le medium bande dessinée.

Point de jugements ici ; je ne fais que décrire des faits et un état d’esprit.

Me destinant moi-même à la bande dessinée, je n’avais pas ce mépris. Mais il est vrai qu’au fur et à mesure de mon propre cursus, pour chaotique qu’il fut (comme je l’ai déjà décrit dans ma précédente note), le mépris ou, tout du moins, un certain « éloignement » de mon intérêt pour la bande dessinée fut encouragé et nourrit aussi bien par les étudiants que je fréquentais naturellement (mes camarade de promotion) que par les professeurs. Il y avait un climat, un tabou, un non-dit sur la bande dessinée, qui ne manquait pas d’être « dit » et exprimé de manière lapidaire et sarcastique, la plupart du temps, pour être balayé d’un revers de main. Si je n’avais pas ce mépris de départ, on me l’apprit malgré moi. Là aussi, je ne juge pas, je décris un climat, un état d’esprit. Car c’est cet état d’esprit qui orienta en grande partie mon futur travail. M’orientant jeune vers la bande dessinée « classique », je ne sais ce que j’aurais fait si je n’étais passé par tous les autres cursus et y avais rencontré d’autres élèves. En tout cas il paraît évident que sans cet éloignement forcé de mon souhait de départ, je n’aurais pas fait le Journal. Ce fut pour le meilleur comme pour le pire, j’imagine (et l’Histoire tranchera). Mais si je mets du côté du « meilleur » le travail actuellement accompli, il est évident qu’il se construisit néanmoins sur le rejet et une partie du « mépris du médium » distillé par le milieu artistique de l’école. Je pense que cela a bien changé aujourd’hui, du moins localement, l’EESI étant devenue et essentiellement connue pour la batterie de jeunes talents et jeunes auteurs qu’elle accouche chaque année (lors qu’on a assez peu de souvenirs de notoires artistes contemporains – à l’exception peut-être de Laurent Mignonneau et l’actuel Daniel Firman, que j’ai bien connu à cette époque, et qui fit une énorme exposition au MAC de Lyon en 2013, je crois). je pense que cela changea un temps dans les esprits, notamment avec l’émergence des mal-nommés « indépendants »2. Je pense que c’est de nouveau retombé ou de manière plus ou moins différente aujourd’hui : rien n’est plus puissant que l’inertie ni que le retour d’un certain refoulé.

Ceci étant dit, c’est en m’éloignant de la bande dessinée aux Beaux-Arts que je pus y revenir par une autre porte par la suite, de celles qui s’ouvrirent au début des années 90 sous la houlette de tout ce que recouvre le fameux terme d’« indépendants ». Paradoxalement c’est aussi en créant Ego comme X que, techniquement, la rencontre avec les « anciens » de l’école se fit. La seule année de différence qui me séparait (ou nous séparait) de ces « anciens », adjoint au fait qu’ils étaient en bande dessinée et moi pas, nous scinda et empêcha la rencontre pendant quatre ans (le temps de mes études). Mais c’est à l’issue de ces mêmes études et même un an plus tard (alors que nous réalisions avec Alain François le chemin de Croix déjà évoqué) que je rencontrais ces « anciens » qui avaient fondé, pour partie, l’atelier Sanzot. Si la dichotomie « Indé/mainstream » fut un sujet de débat et de discussions autant local que global, si elle se traduisait sur place par une différence marquée, mettons, entre Ego comme X et l’atelier Sanzot, il n’en demeura pas moins que la rencontre eut lieu et que nous vécûmes plusieurs années dans une grande proximité, avec des amitiés diversement partagées* et une assez belle communauté d’esprit.

Si la communauté d’esprit existait, sans doute fut-ce la proximité des destins économiques qui présida également aux amitiés. C’est une conséquence de la précarité financière liée à la fragilité du métier d’auteur de bande dessinée qui pousse les uns et les autres à s’orienter vers des professions connexes. Ainsi, il est à compter que nombre de jeunes auteurs (ou moins jeunes) s’orientent vers des professions comme graphistes, graphistes publicitaires, professeurs ou vacataires faisant des remplacements, animateurs d’ateliers, essentiellement de dessins, voire d’écriture. Beaucoup travaillent sur ordinateur, d’où la prépondérance des graphistes, souvent, illustrateurs… Moi-même je fus graphiste dans une structure associative qui se donnait pour mission d’aider les autres structures associatives dans leur communication visuelle. Angoulême eut cependant cette spécificité de voir s’implanter au début des années 90 quelques entreprises de dessins animés. À cette époque, c’est surtout IDDH Qui était présente. Nombre des jeunes ou futurs jeunes auteurs travaillaient dans cette entreprise et surtout ceux de « l’écurie Delcourt ». C’est aussi grâce ou à travers cette entreprise que les rencontres se firent. C’est bien avec elle et par elle que les rencontres se firent entre auteurs « mainstream » et auteurs « indés ». Concernant Ego comme X, c’est sans doute à travers Thierry Leprévost et Céline Puthier que se concrétisèrent ses rencontres, puisque tous deux travaillaient à IDDH Bien plus tard, par exemple, ce fut Xavier Mussat qui devient assistant réalisateur de Michel Ocelot sur Kirikou. Le dessin animé, porte de secours et sauvegarde financière pouvant stabiliser le budget de bien des auteurs de bande dessinée et instrument de rencontres et de porosité entre les conceptions parfois divergentes du médium : je laisse ici aussi à des enquêteurs plus rigoureux le soin d’explorer une piste intéressante du background de l’émergence d’une certaine bande dessinée, à songer que le contexte économique de chacune et chacun, ainsi que celui des groupes auxquels une communauté de destins les fait appartenir, n’est non seulement pas anodin mais préside voire génère plus que grandement leurs prises de positions esthétiques.

Pour conclure ce chapitre, tout en relocalisant l’émergence d’Ego comme X, je dirai que cette structure vit le jour conjointement à l’essor de certains auteurs de chez Delcourt, que la maison Delcourt vit le jour à peu près en même temps que les « indépendants », aussi bien locaux que nationaux et internationaux et que le contexte local du dessin animé à Angoulême eut son influence, ne serait-ce que sous un aspect que j’appellerai « flotteur économique » sur la production et la pensée de chaque autrice et auteur, qu’elles et qu’ils se destinèrent à une bande dessinée dite « indépendante » ou qu’elle fut plus « mainstream ».

À suivre…

  1. partie du tome 4 du Journal qui fait état de ces groupes que nous formions. Humainement d’assez belles années et d’assez belles rencontres, ponctuées fatalement par des discussions sur le medium bande dessinée parfois ferraillante et houleuse mais, dans l’ensemble, un esprit assez loin des oukazes et des chapelles. Aussi bien le groupe Ego comme X ne fut guère fondé sur une amitié prioritaire, autant l’amitié entre auteurs ayant des démarches parfois radicalement opposées fut possible. Nous avions même, très régulièrement, des banquets façon Astérix dans un petit restaurant alsacien appelé La Chouc’. Ce restaurant de qualité était tenu par un chef qui y faisait une excellente cuisine pour des tarifs fort raisonnables. Nous lui avons fait plus d’une fois par semaine ses soirées et pendant quelques années, des soirées allant parfois jusqu’à une vingtaine de personnes, regroupant aussi bien « l’écurie Delcourt » qu’Ego comme X et les compagnes et compagnons des uns et des autres.

    Précisons qu’Ego comme X fut la première et la seule structure « indépendante » d’Angoulême pendant de nombreuses années et au moins pour partie des années 90.

  2. Je fais ici un petit aparté sur le terme « indépendants », vite réduit, en novlangue, à son diminutif « indés », cité plus haut. Comme je l’ai signalé, ce terme n’est pas vraiment pertinent et il n’a toujours pas trouvé d’équivalent adéquat à ce jour. Employé sans doute par défaut à l’époque il a eu le défaut, comme bien de ces provisoires qui durent, de perdurer. Cet aparté vient volontairement s’insérer ici où je parle de la maison Delcourt puisqu’à conserver la définition stricte de cet adjectif substantivé, soit « indépendance économique et financière », ladite maison est bien une structure « indépendante ». Ainsi, toute maison d’éditions, toute structure qui n’est pas « indépendante » appartient peu ou prou à des groupes plus vastes qui peuvent, dès lors, décider ou influencer l’orientation du catalogue et des projets éditoriaux. C’est sans doute sur cette seconde occurrence du terme que s’est orientée sa conservation : l’idée que les « indépendants » auraient des choix éditoriaux essentiellement gouvernés par la seule décision de ses éditeurs. Les éditeurs desdits « indépendants » étant eux-mêmes des auteurs, puisque la naissance de ces groupes avait pour fondement et volonté la prise de pouvoir des auteurs eux-mêmes sur leur propre production ou leur réappropriation, la définition et la conservation du terme « indépendants » s’est faite sur l’idée que priorité serait donnée aux auteurs et à leurs projets  en dehors ou, idéalement, au-dessus de toute autre préoccupation. Par extension (et sans doute abus) le terme devint-il générique de toutes les petites maisons d’éditions émergentes du début des années 90, ne gardant du sens de ce terme que l’idée d’une « indépendance d’esprit » lors qu’il s’agissait, en première instance, d’une « indépendance financière » (je n’entrerai pas ici plus avant dans le débat des causalités et influences entre ces deux domaines, ce n’est pas mon propos). Aussi est-il important de rappeler que si Delcourt, aujourd’hui la maison d’édition que l’on connaît, énorme et ayant englobé en 2012 les éditions Soleil (qui arrivèrent au milieu des années 90), fut « rangée » par les « indépendants » avec toutes les autres contre lesquels ils émergèrent, il ne fut pas moins « indépendants » qu’eux dans le sens premier du terme tout en émergeant historiquement à peu près à la même période.

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