La planche qui suit est extraite du « Courrier Français » du 26 mars 1893.

Nous commençons par publier une planche de Willette relativement « facile » à lire. Mais malgré tout, quelques explications : Jules Roques est le propriétaire du journal « Le Courrier Français », journal à la « grivoiserie militante » pour lequel travaille très activement Willette. Willette se représente toujours habillé en Pierrot. « L’ami Bérenger » du titre est l’avocat, ancien ministre et sénateur René Bérenger, ardent défenseur des bonnes mœurs et qu’on surnomme alors « Père la Pudeur » (qui par les chansons, deviendra proverbial). Il est l’adversaire idéologique du journal. Il faudrait ajouter qu’à la même époque, un jupon dessiné par Benjamin Rabier est considéré comme « pornographique ». Le résultat ici n’aurait pas été renié par le Professeur Choron :

26mars1893

L’auteur :

Willette n’est pas un gentil. Un révolté parfois, un sarcastique souvent, oui, mais gentil non, C’est l’homme de ressentiment par excellence, toujours prompt à fêter la mort d’un ennemi politique, à maltraiter une femme, à se moquer de tous et de lui-même (il s’appelle parfois “la larve”), et surtout, il ne se débarrassera jamais d’un antisémitisme obsessionnel, maladif, qui trouble gravement une personnalité par ailleurs sensible à l’injustice. Mais c’est un dessinateur extrêmement prolifique, qui pendant des années, pourra presque à lui seul tenir un journal.

Et puisque le dessin est chez lui compulsif, c’est en dessin qu’il exprime ses ronchonnages et railleries, inventant bien inconsciemment une forme de chronique BD avec une liberté formelle qui nous semble étrangement actuelle. D’autant plus actuelle qu’il se met lui-même en scène (Elric me fait remarquer qu’évoquer la modernité d’un auteur ancien est un poncif, et qu’en matière de modernité, c’est plutôt les auteurs contemporains qui auraient à s’interroger sur la leur…). Mais son alter-ego, ce Pierrot bien désuet, pour le coup, n’est vraiment pas un personnage de fiction. Willette aimait semble-t-il se déguiser en Pierrot. Oui, c’est bien l’auteur qui se met en scène en histrion blanchi gesticulant au-dessus des délires hachés et sibyllins qui traversent ses improbables planches. Il pond ainsi des chroniques égotiques et politiques à la fin d’un XIXe siècle qui développe par ailleurs la BD surtout pour mettre en scène d’inconséquentes pantomimes enfantines.

Willette n’est pas très sympathique, donc, et cultive la chose. Mais en plus, il nous reste largement illisible, car ses pitreries collent au temps, à l’actualité, à l’anecdote, au fait divers, à la vie de Montmartre, à la vie du journal, et il ne s’encombre pas de savoir si le lecteur sait de quoi il retourne. Les personnages moqués sont appelés par leur prénom, parfois juste évoqué, et aujourd’hui, les références nous manquent largement.

Alain François, février 2016

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Willette tel qu’il se dessine, mis en couverture du Courrier Français pour son trente-sixième anniversaire.

One thought on “Ami Bérenger, ne va pas chez Jules Roques !…

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